Présentation de l'éditeur :
C'est un géant. La taille haute, le corps massif, le regard clair, Flaubert, né la même année que Baudelaire à l'hôtel-Dieu de Rouen où son père est chirurgien, est le Viking de notre littérature. Il consacrera cinq ans à Madame Bovary, rivé à sa table de travail, moine au service de l'art, écrivant quelques lignes par jour, raturant, reprenant, corrigeant inlassablement, se tuant à la tâche. Comme Stendhal ou Baudelaire, Flaubert cherche une issue au romantisme. Il l'achève, aux deux sens du mot, comme Bonaparte achève la Révolution : il l'accomplit et il y met fin. Madame Bovary se situe à la jonction entre romantisme et naturalisme. Madame Bovary paraît d'abord en 1856 dans la Revue de Paris, fondée par Maxime Du Camp quelques années plus tôt. Du Camp, toujours amical, avait écrit à Flaubert : " Tu as enfoui ton roman sous un tas de choses bien faites, mais inutiles. On ne le voit pas assez. Il s'agit de le dégager. C'est un travail facile. Nous le ferons faire sous nos yeux par une personne exercée et habile. " Au dos de la lettre de Du Camp, Flaubert écrivit simplement : " Gigantesque ". Dans le rôle inattendu de critique littéraire, Me' Dupanloup, cité par les Goncourt, crée la surprise en voyant plus juste que Du Camp : " Madame Bovary ? Un chef-d'oeuvre, Monsieur. Oui, un chef-d'oeuvre pour ceux qui ont confessé en province. " Avec Balzac, le visionnaire, avec Stendhal, le Milanais égoïste et mélomane, Flaubert, le bûcheron, le besogneux qui sent l'huile, diront ses adversaires, le patron, diront ses partisans, est l'un des trois fondateurs de notre roman moderne. Jean d'Ormesson, de l'Académie française.
Extrait :
À Louis Bouilhet
Première partie
Nous étions à l'Étude, quand le Proviseur entra, suivi d'un nouveau habillé en bourgeois et d'un garçon de classe qui portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent, et chacun se leva comme surpris dans son travail.
Le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir ; puis, se tournant vers le maître d'études :
- Monsieur Roger, lui dit-il à demi-voix, voici un élève que je vous recommande, il entre en cinquième. Si son travail et sa conduite sont méritoires, il passera dans les grands, où l'appelle son âge.
Resté dans l'angle, derrière la porte, si bien qu'on l'apercevait à peine, le nouveau était un gars de la campagne, d'une quinzaine d'années environ, et plus haut de taille qu'aucun de nous tous. Il avait les cheveux coupés droit sur le front, comme un chantre de village, l'air raisonnable et fort embarrassé. Quoiqu'il ne fût pas large des épaules, son habit-veste de drap vert à boutons noirs devait le gêner aux entournures et laissait voir, par la fente des parements, des poignets rouges habitués à être nus. Ses jambes, en bas bleus, sortaient d'un pantalon jaunâtre très tiré par les bretelles. Il était chaussé de souliers forts, mal cirés, garnis de clous.
On commença la récitation des leçons. Il les écouta de toutes ses oreilles, attentif comme au sermon, n'osant même croiser les cuisses, ni s'appuyer sur le coude, et, à deux heures, quand la cloche sonna, le maître d'études fut obligé de l'avertir, pour qu'il se mît avec nous dans les rangs.
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