Extrait :
Nos neurones se remodèlent et se reconnectent jusqu'à la fin de notre vie
Voilà quelque temps qu'une expression circule : «plasticité neuronale». En matière de découvertes sur le cerveau, ce qu'on appelle ainsi représente une avancée majeure, qui bouleverse notre vision du monde. Pour schématiser à l'extrême, on a aujourd'hui la preuve que quasiment n'importe quelle zone du cerveau est modelable, au prix d'efforts puissants mais accessibles, et que les zones corticales «spécialisées» dans telle ou telle fonction sensorielle (toucher, vision, audition...) ou motrice (commandant nos centaines de muscles...) peuvent se remplacer les unes les autres. Une plasticité vertigineuse. Certaines personnes fonctionnent avec seulement un demi-cerveau, d'autres avec 90 % des liaisons entre néocortex et bulbe rachidien rompues ! Autrement dit, l'engin cosmique que nous portons dans notre boîte crânienne est habité de potentialités infiniment plus étonnantes que tout ce qu'on avait pu imaginer. Cela ouvre des perspectives faramineuses, pour développer des capacités inconnues, mais aussi pour «réparer» tous ceux qui souffrent de troubles psychiques et neuronaux.
Désormais, les étudiants apprennent la «triple plasticité du système nerveux». En peu de temps, sous l'influence d'émotions, d'images, de pensées, d'actions diverses, peuvent se produire plusieurs phénomènes : de nouveaux neurones peuvent naître dans notre cerveau; nos neurones peuvent se développer (jusqu'à décupler leur taille) et multiplier leurs synapses (ou au contraire se ratatiner si on ne fait rien) ; nos réseaux de neurones peuvent s'adapter à de nouvelles missions, jusqu'à remplacer un sens par un autre (la vue par le toucher, par exemple) ; enfin, l'ensemble de notre cerveau peut entièrement se réorganiser, par exemple à la suite d'un accident.
Cette plasticité est particulièrement puissante chez le jeune enfant. A deux ou trois ans, il a appris sa langue maternelle, son vocabulaire de base, son accent, les grandes lignes de sa syntaxe. Jusqu'à six ou sept ans, il peut presque aussi facilement apprendre une seconde langue. Dix ou vingt ans plus tard, ce sera beaucoup plus difficile et il conservera sa vie durant un accent étranger. Cela ne signifie pas qu'un cerveau adulte a perdu sa plasticité. Les systèmes corticaux traitant le langage ont tendance à se stabiliser particulièrement tôt, ce qui n'est pas le cas de nombreux autres systèmes.
Mais savez-vous que, jusqu'aux années 1970, l'expression même de «plasticité neuronale» était littéralement taboue chez les neurologues et les neuropsychiatres ? Parmi les très nombreux livres qui, depuis quelque temps, racontent comment ce dogme a été renversé, l'un des plus intéressants est celui de Norman Doidge, psychiatre de Toronto et chroniqueur au National Post canadien. Les Étonnants Pouvoirs de transformation du cerveau nous embarque dans une vraie saga. Fantastique et surtout stimulante, parce que les histoires qu'elle raconte reviennent finalement à dire que, si on le veut vraiment, on peut garder un esprit élastique jusqu'à notre mort - même au-delà de cent ans. Cette élasticité dépend essentiellement de deux données : notre goût pour le nouveau et notre capacité à l'empathie. Quant à tous ceux qui souffrent d'un handicap neuronal ou psychique, cette nouvelle vision représente pour eux une immense bouffée d'espoir.
L'incroyable intuition des frères Bach-y-Rita
Norman Doidge présente plusieurs personnages hors norme, grâce à qui ces réalités si longtemps méconnues nous sont devenues accessibles. Des personnages étonnamment modestes, dont le premier est un «médecin-ingénieur-bricoleur» américano-hispanique, du nom de Paul Bach-y-Rita. Un homme absolument inattendu, habillé à la Chariot, et d'une convivialité exquise...
Tout commence en 1959, le jour où Pedro Bach-y-Rita, vieux poète et érudit catalan émigré aux États-Unis, se retrouve paralysé par un accident vasculaire cérébral (AVC). Le pronostic des spécialistes est rapide : rien à faire, il sera hémiplégique à vie et ses jours sont comptés. (...)
Biographie de l'auteur :
Patrice Van Eersel est journaliste, rédacteur en chef du magazine Clés, et auteur de nombreux ouvrages sur les frontières du connu. Boris Cyrulnik est neuropsychiatre et éthologue. Pierre Bustany est neuropharmacologue. Jean-Michel Oughourlian est psychiatre. Il s'est fait connaître du grand public en collaborant à la publication de l'ouvrage de René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde. Christophe André est psychiatre. Thierry Janssen est psychothérapeute.
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