Extrait :
Je suis allée aux salines près de l'embouchure du fleuve, au mois de mai de ma dix-neuvième année, afin de récolter du sel pour la farine sacrée. Tita et Maruna m'accompagnaient, et mon père nous avait adjoint, pour ramener le sel, un vieil esclave et un garçon qui menait un âne. Ce n'était qu'à quelques milia au nord, mais nous en avons fait une véritable excursion : le pauvre petit âne portait d'abondantes provisions, nous avons mis la journée entière à atteindre notre destination pour finir par installer notre campement sur une dune herbeuse qui dominait les plages du fleuve et de la mer. Tous les cinq, nous avons soupe autour du feu, raconté des histoires et chanté des chansons alors que le soleil se couchait dans les flots et que le bleu du crépuscule printanier s'assombrissait à vue d'oeil. Puis nous avons dormi sous la brise marine.
Je me suis éveillée aux premières lueurs. Les autres dormaient profondément. Les oiseaux entamaient tout juste leur choeur d'aurore. Je me suis levée pour gagner la rive du fleuve. J'ai puisé un peu d'eau dans le creux de ma main et, avant de boire, l'ai laissée couler en offrande, prononçant le nom du fleuve, Tibre, père Tibre, et ses noms anciens, secrets, Albu, Rumon. Puis j'ai bu en savourant l'arrière-goût salé. Le ciel était assez clair pour offrir à mon regard les longues vagues raides de la barre où se rencontraient le courant et la marée montante.
Au-delà, sur la pénombre de la mer, j'ai vu des navires, une ligne de grands navires noirs qui, venus du sud, viraient droit sur l'embouchure du fleuve. De part et d'autre de chaque vaisseau une longue rangée de rames battait comme battent des ailes dans le crépuscule.
L'un après l'autre les navires franchissaient la barre, ils s'élevaient puis retombaient, l'un après l'autre ils arrivaient. Leurs éperons triples, longs et courbés, étaient de bronze. Je me suis accroupie au bord de l'eau dans la boue salée. Le premier navire a pénétré le fleuve et est passé devant moi, sombre et haut, au rythme lourd et régulier des rames dans les flots. L'ombre dissimulait les visages des rameurs, mais à la proue se dressait un homme qui, découpé contre le ciel, regardait droit devant lui.
Sa figure est grave mais détendue ; il contemple les ténèbres, il prie. Je sais qui il est.
Présentation de l'éditeur :
In a richly imagined, beautiful new novel, an acclaimed writer gives an epic heroine her voice
In The Aeneid, Vergil’s hero fights to claim the king’s daughter, Lavinia, with whom he is destined to found an empire. Lavinia herself never speaks a word. Now, Ursula K. Le Guin gives Lavinia a voice in a novel that takes us to the half-wild world of ancient Italy, when Rome was a muddy village near seven hills.
Lavinia grows up knowing nothing but peace and freedom, until suitors come. Her mother wants her to marry handsome, ambitious Turnus. But omens and prophecies spoken by the sacred springs say she must marry a foreigner—that she will be the cause of a bitter war—and that her husband will not live long. When a fleet of Trojan ships sails up the Tiber, Lavinia decides to take her destiny into her own hands. And so she tells us what Vergil did not: the story of her life, and of the love of her life.
Lavinia is a book of passion and war, generous and austerely beautiful, from a writer working at the height of her powers.
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