Extrait :
15 août 1957
Très chère Claire,
Comment vas-tu ?
Me voici à Philadelphie, de retour de l'atelier d'écriture. Une expérience plutôt horrible, sauf pour ce qui est d'écrire. J'ai achevé un premier jet de mon roman. Pour peu que je découvre un moyen de vivre aux crochets des riches, je ne devrais pas avoir à m'inquiéter de mon sort pour le restant de mes jours !
J'ai bien peur, toutefois, d'être contrainte d'enseigner pour financer ce violon d'Ingres. Les riches n'ont pas dû me trouver très reconnaissante, et je doute qu'ils me réinvitent sur leurs terres. Oh, tant pis !
Venons-en maintenant au côté plutôt horrible de l'expérience. Tu avais bien mérité ta lune de miel. De mon côté, j'ai passé mon séjour à regretter que tu ne sois pas avec moi, nous aurions pu faire de longues promenades, dénigrant en choeur et au quotidien les autres participants. Mes exercices spirituels se bornaient à prier, puis à imaginer des conversations avec toi, au sujet de ces idiots qui se prennent pour des génies. Je ne parlais guère pendant les repas, et ce silence, comme je l'espérais, empêchait les autres de me parler. Je n'avais rien à leur dire, car ils passaient leur temps à cancaner et à rire des bêtises qu'ils avaient faites sous l'effet de l'alcool. Et moi, l'abstinence même... Voici un échantillon de participants : deux poètes, des gars de notre âge. Rédacteurs de deux magazines littéraires. Blanc bonnet et bonnet blanc. Oublions leurs noms. Exemple d'histoire récoltée au dîner : ces deux énergumènes avaient appartenu à une société secrète de Yale, l'un en était président, l'autre son adjoint. Le patron s'asseyait sur un trône doré qu'ils avaient subtilisé à la section d'art dramatique pour interviewer des candidats. «Sodomie ou éviscération», proposait-il. Tout homme qui répondait «éviscération» était admis. Enfin, perle du cocktail qu'ils ont donné en notre honneur le premier soir : un auteur, une femme, spécialiste des romans historiques à l'eau de rose. Ta mère les a peut-être lus. Je les ai vus se faire dévorer dans le train avec des cacahuètes. Je lui ai été présentée en tant que collègue romancière, c'est tout ce qu'elle a daigné apprendre sur moi. Elle s'est embarquée dans un interminable monologue, après avoir détaillé un emploi du temps de ministre et la difficulté de concilier lectures et conférences avec l'écriture, elle a loué l'infinie patience de son publicitaire de mari, toujours prêt à passer ses vacances en Écosse, en Irlande ou en France pour les besoins de ses romans, et elle a loué de même l'infinie patience de son cher, très cher éditeur qui répond toujours à ses appels et se montre aux petits soins avec elle si elle a besoin d'être tirée d'une impasse, ce qui est rare. «Dieu merci, l'écriture, chez moi, c'est viscéral. Ça monte en moi comme une marée. Impossible de l'arrêter. Il me faut, en général, trois semaines ici pour six cents pages que je réduis à...» Je mourais d'envie de lui dire l'effet que cette harangue égocentrique produisait sur mes viscères ! Parfois, rien ne fait plus de bien qu'un silencieux «Nom de Dieu !». Je me sentirais gênée d'invoquer en vain le nom du Seigneur, mais j'ose croire qu'il est beaucoup plus offensé par l'arrogance qui m'amène à l'implorer de façon aussi désespérée. Oh, sans doute que mon amertume l'offense aussi, mais pense donc : un auteur pour qui l'écriture c'est viscéral ! Mon Dieu ! Ma chère Claire, par pitié, ne me laisse jamais me prendre trop au sérieux. L'amour-propre auquel beaucoup carburent ne cessera jamais de m'étonner. A mon avis, c'est comme conduire en état d'ivresse. Même si ces gens ne tuent jamais personne, ils trompent leur monde jusqu'à ce qu'ils se soient frayé un chemin vers la médiocrité lucrative.
Présentation de l'éditeur :
He is Bernard Eliot: a poet; passionate, gregarious, a force of nature.
She is Frances Reardon: a novelist; wry, uncompromising and quick to skewer.
In the summer of 1957, Frances and Bernard meet at writer's colony. Afterwards, he sends her a letter, and with it begins an almost holy friendship told through an absorbing correspondence that chronicles - and changes - the course of their lives.
Frances is hesitant where Bernard is insistent, cynical where he is quixotic, but in each other they find the audience they've been searching for. From their witty, early missives to dispatches from the long, dark nights of the soul, Frances and Bernard tussle over faith and family, literature and creativity, madness and devotion - and before long, they are writing the account of their very own love story.
Inspired by the real-life friendship between two giants of American letters, Flannery O'Connor and Robert Lowell, yet with a warm charm and fierce intelligence entirely its own, Frances & Bernard is a sparkling tribute to the wonder of kindred spirits and bittersweet romance.
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