Présentation de l'éditeur :
Au bout de la rue Guénégaud, lorsqu'on vient des quais, on trouve le passage du Pont-Neuf, une sorte de corridor étroit et sombre qui va de la rue Mazarine à la rue de Seine. Ce passage a trente pas de long et deux de large, au plus; il est pavé de dalles jaunâtres, usées, descellées, suant toujours une humidité acre; le vitrage qui le couvre, coupé à angle droit, est noir de crasse. Par les beaux jours d'été, quand un lourd soleil brûle les rues, une clarté blanchâtre tombe des vitres sales et traîne misérablement dans le passage. Par les vilains jours d'hiver, par les matinées de brouillard, les vitres ne jettent que de la nuit sur les dalles gluantes, de la nuit salie et ignoble. A gauche, se creusent des boutiques obscures, basses, écrasées, laissant échapper des souffles froids de caveau. Il y a là des bouquinistes, des marchands de jouets d'enfants, des cartonniers, dont les étalages gris de poussière dorment vaguement dans l'ombre; les vitrines, faites de petits carreaux, moirent étrangement les marchandises de reflets verdâtres; au delà, derrière les étalages, les boutiques pleines de ténèbres sont autant de trous lugubres dans lesquels s'agitent des formes bizarres. A droite, sur toute la longueur du passage, s'étend une muraille contre laquelle les boutiquiers d'en face ont plaqué d'étroites armoires; des objets sans nom, des marchandises oubliées là depuis vingt ans s'y étalent le long de minces planches peintes d'une horrible couleur brune. Une marchande de bijoux faux s'est établie dans l'une des armoires; elle y vend des bagues de quinze sous, délicatement posées sur un lit de velours bleu, au fond d'une boîte en acajou.
Biographie de l'auteur :
Emile Zola (1840-1902) est un des écrivains les plus populaires, les plus lus et les plus traduits de la littérature française. Romancier, il devient le chef de file de l'école naturaliste, dont l'intention est de mettre la fiction au service de la science, plus particulièrement de la physiologie. Journaliste, il écrit abondamment, pour Le Figaro et L'Aurore, entre autres. C'est dans ce dernier titre qu'il publie le célèbre "J'accuse" par lequel il s'en prend ouvertement à l'armée, coupable d'avoir condamné à tort le capitaine Dreyfus en connaissance de cause - et fait de sa comparution en justice pour diffamation un moyen de révéler plus largement les dessous de l'affaire. Condamné, il s'exile le soir même du verdict à Londres, où il reste un an. Il meurt accidentellement dans son appartement parisien alors qu'il a entamé un nouveau cycle romanesque, Les Quatre évangiles, resté inachevé. Le jour de ses funérailles, Anatole France déclare : "Il fut un moment de la conscience humaine".
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