Extrait :
CARLOS
Jr aimerais vivre ma vie comme je l'entends, mais je suis mexicain, et mi familia est toujours là pour me guider, quoi que je fasse, que ça me plaise ou non. Enfin, «guider», c'est rien de le dire. «Dicter ma conduite» plutôt.
Mi'amá ne m'a pas demandé si j'avais envie de quitter le Mexique et d'aller vivre avec mon frère Alex au Colorado pour y faire ma terminale. Elle a décidé de me renvoyer en Amérique «pour mon bien», selon sa formule. Comme le reste de mi familia l'a soutenue, l'affaire était réglée.
Croient-ils vraiment que de m'expédier aux US m'évitera de finir six pieds sous terre ou derrière les barreaux ? Depuis que je me suis fait virer de la raffinerie de sucre, il y a deux mois, j'ai vécu la vida loca. Il n'y a pas de raison que ça change.
Je jette un coup d'oeil par le hublot. L'avion survole des pics enneigés. Les Rocheuses. Je suis loin d'Atencingo, ça c'est sûr... et je ne suis pas non plus dans la banlieue de Chicago, où j'ai grandi, jusqu'à ce que mi'amá nous oblige à plier bagages pour déménager au Mexique. J'étais en seconde à l'époque.
À peine l'avion posé, les autres passagers se bousculent pour sortir. Je patiente un peu, le temps de me faire à la situation. Ça fait presque deux ans que je n'ai pas vu mon frère. Putain, je ne suis même pas sûr d'avoir envie de le revoir !
L'avion s'est presque vidé. Je ne peux plus me débiner. J'attrape mon sac à dos et je suis les flèches indiquant la livraison des bagages. Au moment de sortir du terminal, j'aperçois mon frangin, Alex, qui m'attend derrière la barrière. Je pensais ne pas le reconnaître ou avoir l'impression d'être face à un étranger, mais pas d'erreur possible. Son visage m'est aussi familier que le mien. J'éprouve une certaine satisfaction en constatant que je suis plus grand que lui maintenant, sachant que je n'ai plus rien à voir avec le gamin maigrichon qu'il a laissé derrière lui.
- Ya estàs en Colorado, me dit-il en me serrant dans ses bras.
Quand il me libère, je remarque des cicatrices à peine visibles au-dessus de ses sourcils, près de ses oreilles, qui n'étaient pas là la dernière fois qu'on s'est vus. Il fait plus vieux, mais il n'a plus ce regard défiant qu'il trimbalait partout avec lui comme un bouclier. Ce bouclier, je crois que j'en ai hérité.
- Gracias, je lui réponds sans enthousiasme.
Il sait que je suis là contre mon gré. L'oncle Julio ne m'a pas lâché d'une semelle tant que je n'étais pas monté dans l'avion. Il a menacé de rester à l'aéroport jusqu'à ce qu'il décolle.
- Tu sais encore parler anglais ? me demande Alex alors que nous nous dirigeons vers les tapis roulants.
Je lève les yeux au ciel.
Biographie de l'auteur :
Simone Elkeles est née en 1970 à Chicago. Elle a suivi des études de psychologie à l'université de l'Illinois et obtenu un master à l'université de Loyola. Auteur de séries à succès, elle a gagné plusieurs prix pour son travail et ses romans se classent parmi les meilleures ventes aux Etats-Unis.
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