Extrait :
Extrait de l'introduction
Waldheim ment. La biographie du président de la république autrichienne présente une lacune sur deux années de sa vie. Il n'a pas le souvenir d'avoir été dans les Balkans du mois de mars 1942 au mois de mai 1945. Si on lui rappelle qu'il s'y trouvait, il n'a pas le souvenir d'avoir vu, du poste panoramique d'Arsakli d'où l'on embrasse tout le port grec, le rassemblement forcé des juifs de Salonique avant leur déportation à partir de mars 1943. Ni des exécutions d'otages en Yougoslavie, ni de la destruction de villages et du massacre de leur population, ni des interrogations «poussées» des prisonniers. Si ces crimes ont été commis, Waldheim se rappelle seulement qu'il a, jour après jour, apposé son cachet sur les papiers que la bureaucratie produisait autour de telles opérations. Si sa présence sur les lieux est démontrée, il est la victime d'un complot dont il est aisé d'identifier les coupables. Le fait est que ces crimes lui étaient déjà imputés par la Commission yougoslave des crimes de guerre dès 1947, et l'année suivante, par la Commission des Alliés, sous la rubrique «Mise à mort d'otages, meurtre».
Cette «dénégation systématique» en forme de fuite infinie, ce «mensonge persistant», cette «opiniâtre capacité à nier l'évidence», s'expliquent, selon les deux journalistes français qui ont étudié le dossier, par la cauteleuse ambition d'un personnage médiocre, décidé à gravir les degrés de la carrière politique. Stratégie payante, car l'Autriche tout entière est frappée d'amnésie collective après la Deuxième Guerre, et veut seulement se rappeler qu'elle fut victime du nazisme. C'est un mécanisme semblable que Primo Levi observe sur le cas de l'ancien commissaire des affaires juives du gouvernement de Vichy, impliqué directement dans la déportation de milliers de juifs, Louis Darquier de Pellepoix, dont les dénégations en chaîne servent un autre projet que celui de Waldheim : construire, à son propre usage et à destination des autres, «une vérité commode» qui lui «permet de vivre en paix».
Présentation de l'éditeur :
La glorieuse bataille des Trois Rois (El-Ksar el-kébir, 1578) Souvenirs d'une grande tuerie chez les chrétiens, les juifs & les musulmans
Au point de départ, un événement : une guerre qui présente l'économie d'une tragédie classique. Elle se joue en quelques heures, en une seule bataille sur le sol africain, qui s'achève par une victoire éclatante du Maroc sur le Portugal.
Trois rois trouvent la mort au cours de l'affrontement. Guerre meurtrière, une des plus sanglantes du XVIe siècle, elle marque un tournant décisif dans l'histoire du face-à-face entre islam et chrétienté. On sut partout qu'elle resterait gravée dans les mémoires.
Quels souvenirs garde-t-on d'une grande guerre ? Qu'en retient-on quand on est vainqueur, comment oublier que l'on a essuyé une défaite ? Qui transmet les souvenirs quand disparaissent les derniers témoins ? Et pourquoi ? Et pour qui ?
Des premiers échos de la bataille en 1578 aux derniers films qu'elle a inspirés au Maroc comme au Portugal, ce livre suit le fil du souvenir chez les descendants des vainqueurs et des vaincus, s'interroge sur les usages sociaux de la mémoire, et finalement sur les rapports qu'elle entretient avec l'histoire.
Lucette Valensi
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