Il y eut, au tout début de leur histoire, quelque chose qui l’alerta. Alerter est peut-être un bien grand mot. Ce fut plutôt une impression : celle que son histoire à elle s’arrêterait avec lui. C’était comme si elle regardait sa mort.
Elle avait déjà éprouvé ce genre de sentiment avant, mais toujours de manière diffuse. Alors que là, elle avait seulement posé son regard sur lui et elle avait su.
C’était en mars. L’hiver s’attardait. Tout était en ordre dans sa vie. Elle n’était ni plus ni moins qu’une petite bonne femme qui avait réussi à faire écrire quelques livres à quelques écrivains plus ou moins connus, qui peinaient pour la suite. Pour eux, elle savait attendre, et écouter. Elle avait même pris le train un soir et était allée à Toulouse pour voler au secours de l’un d’eux, qui avait besoin d’elle. Ou de quelqu’un, ce qui n’est pas la même chose.
Éditrice. Elle s’en gargarisait, prenait un air entendu et attendait la suite en mesurant l’effet produit. Combien de fois dans les dîners avait-elle fait durer, écoutant avec un intérêt trop appuyé son voisin de table avant de lui balancer le paquet. Ah bon, vous travaillez dans l’édition ? Le ton imperceptiblement changeait. Elle devenait intéressante. On n’imagine pas le nombre de manuscrits qui dorment dans les tiroirs. Ce «travailler dans l’édition » la laissait songeuse mais elle en tirait avantage.
Elle avait toujours pensé que cette lucidité la sauvait.
On entre dans le livre de Catherine Guillebaud comme la narratrice est entrée dans son adultère : à pieds joints, avec l'envie immédiate que l'histoire ne s'arrête jamais. Des histoires d'amants, la littérature n'en manque pourtant pas. En quoi celle-ci est-elle originale ? Pourquoi sait-elle retenir, toucher ? Peut-être parce qu'elle prend le temps de nommer ce que les autres avaient cru nécessaire de taire. Par exemple, la tendresse qui se transforme en violence à force de frustration. Par exemple, la fin qui peut survenir uniquement parce que celui qui a été trompé est resté clément devant l'aveu.
Amants est un texte moderne, inscrit dans notre époque et c'est cela qui le rend riche d'intérêt.
Vincent et la narratrice sont éditeurs. Elle vit à Paris avec son mari et ses deux enfants. Lui vit en province avec sa femme et sa petite fille. De la rencontre des deux amants au jour où la narratrice abandonnera le jeu, nous les suivons dans leur univers tantôt paradisiaque, tantôt vaguement gris, tantôt terrible. Catherine Guillebaud a toutefois une écriture si pudique qu'à aucun moment, on ne se sent assailli par une histoire dont on sait depuis la première phrase qu'elle finira mal. Elle nous livre un texte qui permet de s'approcher intelligemment de la question de l'adultère. Un livre intime et personnel qui ne peut laisser personne indifférent. --Isabelle Magnien