Extrait :
Dans les pays riches où la sphère de la vie privée tient une place particulièrement importante, bien des choses sont dites sur le couple et bien des idées reçues sont véhiculées comme des évidences - ou dont l'effet d'évidence tient à leur répétition incessante. Nous nous trouvons là dans un type de production de discours qui relève de ce que le philosophe Hegel nommait le «bien connu». Le bien connu est ce qui, précisément parce qu'il est considéré comme tel, n'est pas interrogé. Au niveau des discours prolifiques sur le couple, ce qui est d'abord bien connu, c'est la forme conjugale elle-même comme lien naturel entre un homme et une femme. Cela constitue un premier niveau d'ininterrogé. C'est alors à un second niveau qu'un tas de questions sont posées, niveau qui se situe à l'intérieur du couple déjà constitué : combien de temps dure le couple ? Comment lutter contre la routine ? Comment ne pas s'enfermer dans la relation conjugale ? Comment s'y épanouir sexuellement ? Que faut-il lui sacrifier ? Quelle place l'amour conjugal laisse-t-il à l'amitié ? Comment mieux communiquer ? Comment y gérer les relations hommes-femmes ? Autant de questions aux réponses souvent toutes faites. Autant de questions, également, qui présupposent le couple comme un axiome et qui s'inscrivent plutôt dans une logique de la (bonne) gestion que dans celle du sens de la vie.
La prolifération de la littérature sur le couple s'inscrit dans un mouvement plus général où la sphère des affaires privées (amour, couple, famille) investit l'avant-scène des préoccupations des peuples des pays occidentaux. Ce mouvement s'accompagne de l'explosion d'une offre thérapeutique gestionnaire et technicienne qui répond à une demande d'efficacité et de rapidité de traitement des problèmes réduits à leur expression symptomatique. Les questions posées sur les problèmes de la vie privée ont en effet souvent la forme du «comment faire ?» plutôt que celle du «quel sens cela a-t-il ?» Ainsi, la demande est de se débarrasser du symptôme selon une logique médicale appauvrie qui consiste, lorsque l'on a de la fièvre, à la faire disparaître. Mais pourquoi y a-t-il fièvre ? La fièvre n'est pas la maladie, elle en est une expression. Si, concernant l'amour, le couple, la famille, cela «bouillonne», c'est peut-être que c'est l'amour, le couple, la famille qui posent problèmes et pas seulement les symptômes (jalousie, angoisses, dysfonctions sexuelles, hyperactivité, échec scolaire, crises d'adolescence, de la trentaine, quarantaine, cinquantaine, dépression...).
Biographie de l'auteur :
David Simard est philosophe, diplômé en psycho-sexologie et ancien directeur de la revue Res Publica (PUF). Il a également collaboré au Dictionnaire de la Mort (Larousse 2010).
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