Extrait :
O look, look in the mirror,
O look in your distress ;
Life remains a blessing
Although you cannot bless.
O regarde, regarde dans le miroir,
Ô dans ta détresse, mire ;
La vie reste une bénédiction
Bien que tu ne puisses bénir.
Wystan Hugh Auden, «Un soir que j'étais sorti...»
Es-tu vraiment heureux ? Question-piège. Réponds "oui", l'ami, sans te poser trop de questions : après tout, tu es en vie, et même déglingué par elle, tu peux toujours trouver pire que ta situation... Je sais, tu répondras que la vie n'est pas suffisante : encore faut-il qu'elle soit grisante, danse de miel et de soleil qui fait du bien, qui fait le bien ; source inépuisable de plaisirs et de dons. Oh ! sur le papier, le projet a de la gueule, mais confronté à l'épreuve du réel, on s'aperçoit vite qu'il n'a que cela. Les beautés s'estompent, les forces s'épuisent, les amours se fanent, les amis meurent. Et la misère à l'échelle du globe - cette cargaison inconcevable de famines, de meurtres et d'horreurs - rend tout bonheur pornographique. Elle en fait l'obscénité des enfants de la Fortune, la grossière insolence des nantis de la joie. Microscopiquement se réjouir, quand tout va macroscopiquement si mal, cela semble aussi absurde que de piquer un fou rire sur la corniche d'un immeuble en feu. Oui, le bonheur relève de la psychiatrie ; beaucoup de génies te le diront.»
La voix cesse peu à peu de me bercer pour percer mon sommeil, fendiller mes paupières. Je vois du rose, du mauve, du bleu... Tout comateux, j'essaie de me relever, mais le matelas-à-eau de la chambre d'amis me demande trop d'efforts, et je m'écroule dans un plouf sourd. «Sacrée cuite, hier soir, pas vrai ?» me dit ce voisin non identifié, à deux pas de mon naufrage. Je tourne la tête : rose, mauve, bleu. Mes yeux flottent, vision elle aussi à eau. «J'aimerais bien voir clair !» fais-je piteusement-pâteusement, comme si l'autre pouvait m'aider. «C'est vraiment ton voeu ?» bondit-il. «T'es un rapide, toi !...» Puis, sur un ton de garçon de café : «Et une vue de crevette-mante à vie, une !» Avant que mes oreilles n'aient fini de capter ces paroles, une tornade venue d'on-ne-sait-où cingle ma face dans un nuage de poussière d'or. Je grimace : «Mais qu'est-ce que ? !...» - «T'inquiète !» me crie l'inconnu par-dessus la houle sifflante. «Faut bien quelques effets spéciaux pour marquer le coup, non ? Et puis ça évite aux clients de faire leur voeu pendant qu'ils dorment, tu vois le topo ?» - «Assez ! !...»
Tout s'arrête. Le vent, la voix, le vertige. J'ouvre à nouveaux les yeux : rose, mauve, bleu, plus des paillettes dorées qui suintent de mes sourcils. «C'est pas possible !
- Tas dit "assez" pendant l'effet, l'ami, donc on recommence. Tu viens de griller ta dernière cartouche, je te préviens.
- Mais je vois que dalle !
- Procédure normale pour les philosophes. Trop cogiteux : nous voir vous ferait disjoncter. En 1888, avec l'ancienne formule, j'étais apparu à Nietzsche sous les traits d'un cheval... "Hi-han !" (Je sais, c'est pas über-cheval comme cri, mais c'est vachement dur à faire, le hennissement !)
- Eh bien ?...
(...)
Présentation de l'éditeur :
La Magique étude du bonheur est une réflexion vivante et originale sur un thème qui parle à tout le monde : le bonheur. Ecrit dans une langue claire par un auteur régulièrement sollicité par les médias, cet ouvrage est truffé de citations, de mises en situation, d’exemples étonnants ou d’aphorismes parfois provocateurs. Il bouscule les codes de l’essai philosophique pour amener à se poser des questions parfois dérangeantes mais qui font avancer ?
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