Extrait :
Emanuela l'institutrice leur parla de l'ours, de la respiration des poissons et du cri de la hyène, la nuit. Elle accrocha aussi des photos d'animaux et d'oiseaux aux murs de la classe. La plupart des enfants se moquèrent d'elle parce qu'ils n'en avaient jamais vu de leur vie. Ils ne croyaient pas vraiment à l'existence d'autres créatures vivantes. En tout cas, il n'y en avait pas dans les parages. Et comme, en plus, la maîtresse n'avait pas réussi à se trouver un mari, on pensait qu'elle avait une araignée au plafond et des idées farfelues plein la tête, comme tous les solitaires.
Le petit Nimi fut le seul qui se prit à rêver d'animaux à cause des histoires de l'institutrice. Toute la classe se gaussa quand, le lendemain matin, il raconta que ses chaussures marron, posées comme d'habitude au pied de son lit, s'étaient métamorphosées en hérissons et avaient passé la nuit à gambader dans sa chambre pour redevenir de simples souliers, retrouvés sous son lit à son réveil. Une autre fois, c'étaient des chauves-souris noires qui étaient venues le chercher au milieu de la nuit et l'avaient transporté sur leurs ailes dans le ciel, au-dessus du village, des montagnes et des forêts, jusqu'à un château enchanté.
Nimi était dans la lune et perpétuellement enrhumé. En plus, il avait les dents d'en haut écartées et proéminentes. Les autres appelaient cet interstice «bouche d'égout».
En arrivant en classe, le matin, Nimi s'empressait de raconter son nouveau rêve et, chaque fois, on lui disait : «Arrête, il y en a marre, ferme un peu ta bouche d'égout.» Et, comme il persévérait, on s'ingéniait à le ridiculiser. Mais, au lieu de se vexer, il en rajoutait. Il reniflait, avalait sa morve et, débordant de joie, il s'affublait des sobriquets humiliants qu'on lui donnait : «bouche d'égout», «cauchemar ambulant», «godasse-hérisson».
Assise derrière lui en classe, Maya, la fille de Lilia la boulangère, ne manquait pas de lui chuchoter à l'oreille : «Ecoute, Nimi, tu peux rêver de ce que tu veux, d'animaux, de filles ou de je ne sais quoi, mais tu ferais bien de te taire. Ça vaudrait mieux pour toi.»
Matti lui avait dit : «Tu ne comprends pas. Nimi ne rêve que pour en parler. Et il rêve encore quand il se réveille, le matin.»
Un rien l'amusait, Nimi, il s'enthousiasmait pour n'importe quoi : une tasse fêlée dans la cuisine, la pleine lune, le collier de la maîtresse, Emanuela, ses dents saillantes, les boutons qu'il oubliait d'attacher, le mugissement du vent dans la forêt, il riait pour un oui ou pour un non. Tout prétexte était bon pour faire le fou.
Jusqu'au jour où il quitta l'école et le village pour se sauver dans la forêt. On se lança à sa recherche durant deux ou trois jours. Les veilleurs de nuit battirent la campagne pendant une semaine, voire une dizaine de jours. Enfin, seuls ses parents et sa soeur s'acharnèrent à le retrouver.
Quatrième de couverture :
Dans un village du bout du monde, encerclé par d'épaisses forêts profondes, tous les animaux ont disparu depuis des années. Seuls quelques habitants se souviennent encore du miaulement des chats ou du chant des oiseaux. À la nuit tombée, tous se barricadent dans les maisons, terrifiés par une créature mystérieuse qui parcourt les rues. Pourquoi les animaux sont-ils partis ? Quel est ce fantôme qui hante le village ? Pourquoi les grandes personnes refusent-elles de répondre aux questions des enfants ? Une petite fille intrépide et son ami décident un jour d'élucider ce mystère et d'aller vers la forêt... Éric Ruf sait rendre par sa voix chaleureuse, qui se plie à toutes les inflexions, le mystère et le charme de ce conte moderne. Il nous replonge dans l'univers de l'enfance, à cette époque heureuse où l'on écoute une histoire en tremblant tout en sachant qu'on ne risque rien.
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