Extrait :
Texas, 1981
Le bateau est plus petit qu'il ne le pensait. Et plus délabré.
Même dans le noir, Jay se dit que le rafiot mériterait un bon coup de peinture.
Ce n'est pas du tout ce qu'on lui a expliqué. Au téléphone, le type lui avait parlé d'une «croisière au clair de lune». Les lumières de la ville et tout le paquet. Jay s'imaginait quelque chose d'original, d'un brin romantique, comme les croisières sur le lac Pontchartrain à La Nouvelle-Orléans, mais en plus petit. Or on dirait, au mieux, un bateau de pêche retapé à la hâte. Il est plat, grand et tout moche - une barge trop habillée, et mal, comme une grosse fille à son premier et sans doute dernier bal du lycée. Dans tous les coins, il y a des éclairages de Noël qui se rejoignent en une guirlande autour de la porte de la cabine. Les ampoules clignotent par intermittence, un peu fatiguées, pour aguicher Jay, lui promettre du bon temps, l'inviter à bord. Jay, immobile, avise la cabine : quatre cloisons qui penchent, garnies d'un mauvais lambris pour auvent de garage. L'ensemble donne l'impression d'avoir été rafistolé au dernier moment, en une tentative maladroite pour faire joli, comme un chapeau qui aurait du mal à tenir en place sur la tête d'un ivrogne.
Jay se retourne vers sa femme, qui n'est pas encore tout à fait sortie de la voiture. La portière est ouverte, Bernie a les pieds par terre, mais elle est encore assise sur le siège passager et regarde son mari dans l'interstice entre la portière et la carrosserie rouillée de la Skylark. Elle baisse les yeux vers ses chaussures, une paire de sandales Scholl bleu marine - un petit luxe qu'elle s'est offert vers la fin de son sixième mois. Puis elle regarde le bateau qui oscille à la surface de l'eau. Elle se livre à un bref examen, Jay le sait bien, pour évaluer sa propre condition physique par rapport à celle du bateau. Elle lui jette un dernier coup d'oeil, dans l'attente d'une explication.
Jay, lui, porte son regard au loin. Le bayou n'est qu'un bras d'eau boueux et étroit qui s'écoule à deux mètres au-dessous du niveau de la rue et serpente dans le ventre mou de la ville. Il commence à l'ouest et traverse le centre-ville jusqu'au Ship Channel et au port de Houston, où il se jette enfin dans le golfe du Mexique. Depuis des années, on explique que la «Ville-Bayou» doit procéder à l'aménagement de ses cours d'eau, comme à San Antonio, mais en plus grand bien sûr, et donc en mieux. D'innombrables promoteurs immobiliers ont échafaudé toutes sortes de projets de restaurants et de boutiques sur les berges du bayou Buffalo, et le bureau d'urbanisme de la ville est même allé jusqu'à construire une promenade pavée le long de la partie du bayou qui coupe Mémorial Park. Cette promenade pavée n'est jamais allée plus loin que le projet lui-même ; elle s'arrête brusquement à Allen's Landing, à l'angle nord-ouest du centre-ville, précisément où se trouve Jay en ce moment. La nuit, le coin est quasiment désert. Il faut aller plus au sud pour rencontrer la civilisation : des concerts au Johnson and Lindy Cole Arts Center, des restaurants et des bars près du Jones Hall et de l'Alley Théâtre. Mais depuis Allen's Landing, la vue est sinistre. Les berges du bayou sont couvertes d'épaisses herbes aquatiques qui envahissent tout et grimpent sur les piliers en ciment soutenant Main Street au-dessus. Mis à part une pauvre ampoule jaune au pied d'un petit embarcadère en bois, Allen's Landing est plongé dans une obscurité totale.
Présentation de l'éditeur :
Dans la lignée de Dennis Lehane et George Pelecanos, une nouvelle voix de la littérature américaine se fait entendre : pour son premier roman, Attica Locke a écrit un thriller brillant, gue les lecteurs ne sont pas près d'oublier.
Jay Porter est loin d'être l'avocat qu'il aurait voulu devenir. Son client le plus prometteur est une prostituée de bas étage, et son cabinet se trouve dans un petit centre commercial minable. Mais cela fait longtemps qu'il a enterré son rêve américain et mis soigneusement de côté sa facette la plus sombre : les armes, l'enquête du FBI et le procès gui a bien failli le détruire.
Houston, Texas, 1981. C'est dans cette ville gue Jay pense pouvoir repartir de zéro. Jusqu'a soir où il sauve une femme de la noyade - et ouvre la boîte de Pandore. Les secrets gue cache cette dernière vont en effet mêler Jay, malgré lui, à une enquête criminelle gui mettra en péril sa carrière d'avocat, sa famille, sa vie même. Mais avant d'éclaircir un mystère dont les ramifications remontent jusqu'aux plus hautes sphères du pouvoir économique local, Jay devra affronter les démons de son passé.
Une écriture intelligente gui captive le lecteur dès la première scène, jusqu'au dénouement haletant : Marée noire signe l'arrivée fracassante d'un nouveau talent.
Attica Locke est scénariste pour le cinéma et la télévision. Enseignante au Sundance Institute, elle travaille actuellement pour une série de HBO sur le mouvement des droits civiques. Native de Houston (Texas), elle vit à Los Angeles avec son mari et sa fille.
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