Extrait :
Prologue
ON peut vouloir partir, parce qu'on n'a jamais voyagé. Moi, j'ai décidé de voyager parce que je suis trop souvent parti.
J'ai parcouru le monde sans le voir.
Neuf millions de kilomètres, onze mille heures de vol, quinze mois de ma vie passés dans le ciel à survoler les terres balafrées par la cupidité et la misère. J'ai aussi admiré des paysages grandioses, toujours vissé dans le confort cotonneux de mon cockpit, bien à l'abri des réalités qui défilaient sous mes pieds. Et, lorsque je touchais le sol, de New York à Pékin, de Rio à Bombay, c'était pour m'enfouir dans une autre bulle protectrice, un hôtel luxueux et sans rapport avec la vie locale.
Pilote de ligne. Comment donner du sens à cette vie de passage, comment réconcilier la quantité et la qualité, gommer les décalages, éprouver les distances, renouer avec le temps des rencontres et de la connaissance ?
C'est avec toutes ces questions au fond des sacoches que je m'envolais le 8 janvier 2010 vers Canton.
J'avais la ferme intention d'en revenir à bicyclette en suivant la ligne aérienne que j'avais empruntée pour m'y rendre. Je voulais retrouver l'espace, le sentir dans mes mollets, le peupler de chairs, d'odeurs et de bruits, de langages inintelligibles, de signes abstraits, de poésie. Je voulais savoir ce qu'il en coûte de parcourir dix mille kilomètres quand on n'a que de l'eau dans les bidons et, pour seul moteur, la mécanique du corps.
Adolescent, j'avais rêvé de m'envoler. Adulte, il me faudrait redescendre bien avant que la retraite, ce couperet du pilote qui nous coupe les ailes, ne m'y oblige.
Comme un futur père de famille attendant son premier enfant, j'étais bardé de principes, avant de monter en selle :
- Je suivrai la ligne aérienne au plus près, quitte à couper en plein désert si nécessaire, et, s'il n'y a rien à voir sous les ailes de l'avion, eh bien tant pis, je ne verrai rien.
- J'effectuerai chaque kilomètre de ce parcours à bicyclette, quelles que soient les difficultés. Bus interdit.
- Je ne m'absenterai pas un jour de plus que convenu avec ma femme, extraordinaire Marianne, qui accepta, non sans une grande appréhension, mon départ.
Et, comme tout bon père de famille confronté aux défis de la paternité, nous verrons dans ce récit comment les circonstances ont eu raison de cette belle éthique et quel fut mon itinéraire vers la liberté d'être soi-même.
Un mot de l'auteur :
Mesdames et messieurs, bienvenue à bord ! Je vous présente mes excuses pour ce léger retard.
Parti en 2010 mordre la poussière des routes asiatiques, "Sous les ailes de l'hippocampe" ne parait qu'aujourd'hui, quatre ans plus tard.
Mais vous savez, tout prend du temps. L'écrivain amateur est un forçat de l'édition.
Je vous invite à un voyage dont la durée est inconnue. La météo à destination est incertaine. J'ignore tout de la température extérieure. Attachez bien vos ceintures, quelques turbulences sont prévues en croisière.
Nous traverserons la Chine, le Kazakhstan et la Russie. Nous franchirons l'Oural et la Bérézina, effacerons les Sudètes, puis gagnerons Paris à travers les Ardennes. Pour une fois, vous sentirez le vent, les ornières et le froid. La solitude.
Mesdames et messieurs, je vous souhaite un voyage aussi intense que celui que j'ai vécu.
François Suchel
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