Extrait :
La paix
Je m'appelle Lula, mais quand j'étais petite, on m'appelait Luna. Personne d'autre que mon père ne savait que Luna voulait dire la lune dans une langue lointaine qui n'était pas la nôtre. Mon père, lui, savait tout, même cela. Il m'a appelée Luna lorsque j'avais trois ans. Ma grand-mère me chantait alors une vieille berceuse polonaise : «La lune est blanche, dors, ma Luna ; la lune pâlit, bientôt, Luna, le jour viendra.» Elle disait «dors, ma Luna» et ce «n» glissé par effraction était comme un secret. J'adorais cette berceuse. J'adorais ma grand-mère.
Je chantais tout le temps, sans cesse, jour et nuit. Parfois, ma mère faisait mine de se mettre en colère. Alors, elle m'appelait par mon vrai nom.
- Lula ! Vas-tu arrêter ! Ce n'est pas l'heure de chanter, c'est l'heure de dormir. Tu empêches ton frère de s'endormir !
Je me taisais quelques minutes, et puis je reprenais doucement. Ma mère se levait à nouveau pour me gronder, je baissais d'un ton, ma voix devenait un filet. Mais ce filet ne disparaissait jamais complètement. Je poursuivais mon gazouillement sans même m'en apercevoir. Dans l'autre pièce, j'entendais mes parents parler à voix basse :
- Laisse-la, Shoshana, disait mon père, c'est un don de Dieu, une pareille voix. Écoute plutôt, c'est de l'argent pur, c'est le miel de la lune, cette voix-là...
Ma mère disait sur un ton qu'elle voulait fâché :
- Elle empêche tout le monde de dormir...
- Elle ne dérange personne, répliquait mon père. Personne, vois-tu, ne peut être dérangé par une voix de lune... On peut être caressé, bercé, ébloui, fasciné par la lune... Mais pas dérangé, non...
Ma mère protestait doucement :
- Tu lui passes tout, Henryk.
Mon père chuchotait d'autres paroles que je ne distinguais pas, j'entendais seulement le grain chaud de sa voix qui était doux comme le velours dont ma mère faisait mes robes de fête. Shoshana protestait encore un peu, pour la forme. Et tout se fondait dans un murmure, je finissais par m'endormir dans quelque mélodie secrète. J'étais Luna, le miel de la lune, l'amour de mon père, la tendresse de ma grand-mère. Luna à la voix d'argent, et la quiétude du sommeil m'enveloppait comme un manteau.
Présentation de l'éditeur :
Varsovie, 1939. Luna a 14 ans lorsqu'elle est faite prisonnière par les Allemands. Commencent alors la persécution, la misère, la peur, la mort. Dans le cauchemar de la guerre, elle participe à la résistance du ghetto de Varsovie avec, pour seules forces, sa voix hors du commun et sa volonté de vivre et d'aimer... Une destinée exceptionnelle prise dans la tourmente de l'Histoire. Un magnifique hymne à la vie. «Pour chanter, il faut avoir envie de vivre, d'ouvrir grand les poumons, la poitrine, la gorge. C'est en pensant à ça que m'est venue l'idée d'écrire sur une héroïne qui chante quand autour d'elle tout se referme. Qui chante pour rester en vie.» Paule du Bouchet
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