Après les Théâtres du Je, riches en scènes et en personnages, voici ceux du corps où, le plus souvent, les mots manquent pour dire l'angoisse et la souffrance, où seul le soma parle un langage obscur, comme si les conflits lointains et les émotions étouffées de l'infans n'avaient jamais pu trouver leur lexique propre.Freud, notamment à propos de l'hystérie dite de conversion, évoquait le «saut mystérieux» du psychique dans le corporel. Avec les affections psychosomatiques, c'est au problème inverse qu'on a affaire : comment «convertir» en psychique, en représentations et en mots, ce qui s'exprime sous forme de troubles divers, allant de l'insomnie persistante au malaise cardiaque ?On connaît le talent de Joyce McDougall pour faire participer ses lecteurs à son travail d'analyste et à la passion de comprendre qui l'anime. Avec elle, on est véritablement dans la séance, dans l'échange, au plus près de la clinique psychanalytique et des hypothèses théoriques que suscite l'expérience. Ce ne sont pas alors des cas qu'on observe du dehors, c'est un voyage qu'on entreprend avec des êtres humains qui nous ressemblent, pour peu qu'on consente à entendre, comme l'a noté Michelet, «la foule de ceux qui n'ont pas vécu assez» et les mots «qui ne furent jamais dits».
C'est aujourd'hui une idée commune que le corps puisse être le théâtre d'affections d'origine psychique. On sait bien qu'une contrariété peut ulcérer. Mais ce ne sont pas des formes d'affections psychosomatiques légères que nous fait découvrir ici Joyce McDougall, psychanalyste d'origine néo-zélandaise. Il est question dans son ouvrage d'une pathologie beaucoup plus lourde, proche de la psychose, qui se manifeste par de graves troubles physiques (cardiaques, respiratoires, allergiques...) mais aussi par une parole sans émotion et un sentiment de vide existentiel. Les patients de McDougall se caractérisent par une vie intérieure peu élaborée, ce qui les distingue des malades hystériques que soignait Freud. Ce défaut d'investissement psychique semble indiquer l'origine très ancienne de ces affections psychosomatiques graves, remontant à la relation précoce de l'enfant à sa mère.
Ce livre, qui se lit comme un roman, nous fait découvrir un pathétique monde sans pathos, une détresse souvent sans issue. Une lecture qui révèle la dimension éthique du métier de thérapeute. --Emilio Balturi