Souvenirs de cris, résonances de mots, évocations de tableaux, parisiens ou exotiques, peignant un éternel étonnement devant la langue, aux temps de sa découverte comme à ceux d'une maturité travaillée par la question de la parole... Il faut réfléchir au cri pour comprendre pourquoi on parle : trou, déchirure, "ensauvagement de la voix", même familier, il nous éprouve et nous effraie. Il nous enjoint de parler. Parler, c'est "tresser un lien", surmonter les affres quotidiennes, c'est "emporter les mauvais gravas" qui nous oppressent. Mais il y a parler et parler : on peut informer, ordonner, demander ; on peut aussi converser pour le plaisir ou encore combiner des phrases pour en faire chanter les mots, en soi-même et en l'autre. Chanter, phraser, balbutier... retrouver la voix et la chaleur d'un corps sous le vêtement des mots, n'est-ce pas là l'ultime visée de l'être parlant ?
Parler donc, écrire, écrire, écrire, pour habiller ses cris et rendre corps aux mots, par la poésie et par une originale ethnologie intérieure : telle a été l'urgence à laquelle a paré Michel Leiris (1901-1990) en composant, en 1988, ce petit ouvrage très profond. --Émilio Balturi
Crier. Parler. Chanter. Tels sont les trois thèmes qui guident ici Michel Leiris.«Obscénité du cri qui, déchirant le voile du silence, semble mettre à nu toute l'horreur.Paroles : fondement des échanges humains ou clapotis sans lequel il n'y aurait qu'eau morte ?Quand cela chante à notre oreille ou sur nos lèvres, c'est que - fût-ce en les heures les plus noires - un vent fait frémir notre mâture.»De l'inventaire des cris, en deçà de la parole, Leiris s'élève jusqu'au chant. Du cri qui troue le calme plat à la parole qui tresse un lien, puis à l'ivresse du chant, il fait suivre au lecteur l'itinéraire capricieux d'une chasse à la poésie, qui est aussi une lutte contre les déprédations de l'âge ainsi qu'une quête de justification.