Extrait :
Extrait du prologue :
On a beaucoup écrit sur la bêtise depuis deux siècles, mais le bilan théorique demeure assez modeste. En dépit de quelques tentatives, qu'il faut d'ailleurs porter au crédit des écrivains (Jean Paul, Flaubert, Musil), la bêtise n'a, à ma connaissance, jamais bénéficié d'une investigation systématique, et sa définition reste obscure et confuse. La philosophie, dont la fonction, selon Nietzsche, serait pourtant de «nuire à la bêtise» et donc, d'abord, de la déterminer, a failli à sa tâche puisque, comme le souligne Deleuze, elle s'est, au contraire, obstinée à l'évacuer de son champ réflexif pour lui substituer d'autres cibles, sans doute plus accessibles, l'erreur, l'illusion, etc. Il est significatif qu'un dictionnaire récent, par ailleurs remarquable, n'accorde aucune place à la bêtise (on saute de «Beruf» à «Bien-être»). Il en va tout autrement du Dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugement, mais ce n'est qu'un copieux sottisier et l'on ne tarde pas à ressentir une sorte de malaise, faute d'une détermination théorique, qui permettrait de savoir ce qui relève, ou non, de la bêtise. Le titre de l'ouvrage annonce et souligne sa propre confusion.
Les publications, pourtant, ne manquent pas, qui se donnent la bêtise pour objet, depuis deux ou trois décennies. L'Essai sur la bêtise de Michel Adam constitue certainement la contribution la plus élaborée, mais, en dépit de multiples suggestions et d'une typologie assez sophistiquée, il n'apporte aucune réponse décisive à la question essentielle : qu'est-ce que la bêtise ? Les opuscules de Georges Picard et de Jean-Michel Couvreur ne sont que d'aimables pochades. Quant à La Bêtise d'André Glucksmann, il s'agit d'un pamphlet, rédigé dans l'humeur et surtout sans l'humour qui, seul, permet à la philosophie de nuire à sa propre bêtise. L'axiome de ce piteux règlement de comptes (le socialisme, c'est la bêtise), à peu près aussi consistant que celui de Michel Henry (le socialisme, c'est la barbarie), n'offre évidemment aucun intérêt pour une théorie de la bêtise et situerait plutôt Glucksmann du côté des Prudhomme et Perrichon de la philosophie politique.
La psychologie n'est guère mieux inspirée. Si elle excelle dans la mesure des QI (on négligera toutes les polémiques que ce calcul a suscitées) et parvient ainsi à hiérarchiser un certain nombre de déficiences, de la débilité à l'idiotie en passant par l'imbécillité, elle est bien incapable de localiser la bêtise (on ne peut pas la calculer), qui échappe à sa méthodologie et tend, comme par dérision, à sévir aux degrés supérieurs du QI : bêtise du surdoué, bêtise avouée de Valéry, qui en redoutait, plus que tout, les bouffées. «Quel délicieux livre à écrire, les bêtises des plus grands esprits.» «Car il n'est pas du tout évident que la sottise doive être définie en fonction de et par rapport à l'intelligence. Il est possible que la question de la sottise soit une question autonome, sans rapports ni frontières communes avec la question de l'intelligence.» À cette réserve près que «sottise» et «bêtise» ne sont pas tout à fait des synonymes.
Revue de presse :
Le terme de "bréviaire" est donc pris ici dans le sens d'inventaire de toutes les formes - mais le sujet est inépuisable - de bêtise, ou de manuel destiné à nous prévenir contre les assauts perpétuels de celle-ci. Il n'empêche : la bêtise est un démon qui veille au plus intime de nous-mêmes. Nos pensées, émotions, affections, nos comportements et réactions ne lui sont jamais totalement étrangers. Ce n'est pas une instance parmi d'autres, c'est un absolu, et même, selon Kierkegaard, "le seul absolu contraire à l'absolu"...
Mais, plus que philosophique, ce "bréviaire" est littéraire. Si le piège menace de se refermer sur toute pensée qui ambitionne de se rendre maîtresse du sujet, la littérature, elle, en mimant la bêtise, en l'analysant in vivo, a le pouvoir de la révéler, comme on le dit d'une photographie. Et si Nietzsche assignait au philosophe la tâche de "nuire à la bêtise", il n'est pas impossible que l'écrivain - pas le poète, qui entretient des accointances suspectes avec le sujet... - soit le mieux à même de remplir ce programme. D'ailleurs, il n'y a pas que le roman... Portée sur scène, la bêtise fait merveille. Aristophane, Molière, Anouilh, Giraudoux ou Labiche - qui donnent lieu à de fines analyses - le prouvent...
On n'en finirait pas de citer les figures qui sont ici analysées. La bêtise n'est pas un sujet facile. Il n'est pas non plus pittoresque ou (bêtement) rigolo. Si c'est réellement un absolu, il mérite sinon des égards, du moins la plus grande, la plus sérieuse attention. (Patrick Kéchichian - Le Monde du 7 mars 2008 )
Qu'est-ce au juste que la bêtise ? Dans cet essai érudit et plein d'humour, le philosophe Alain Roger tente de la cerner et de comprendre ce paradoxe : omniprésente et facilement identifiable, la bêtise n'a pourtant «jamais bénéficié d'une investigation systématique, et sa définition reste obscure et confuse»...
Jules Renard, Musil («Vanité et bêtise poussent sur la même tige»), Proust, mais aussi poésie, messages de la Saint-Valentin ou expressions populaires... Alain Roger ne laisse rien au hasard. (Gilles Heuré - Télérama du 11 juin 2008 )
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