Extrait :
Berlin, le 5 janvier 1969
Mon fils,
Je n'ai plus de tes nouvelles depuis plusieurs mois déjà et ce silence me met à l'agonie. Tu m'as jugé et condamné sans que j'aie pu me défendre. Tu t'es détourné de moi, la voix haute, le regard presque dédaigneux et l'esprit plein de certitudes. De quelle force es-tu doté, mon fils, pour supporter en silence cette longue torture ? Pourquoi refuser le partage de quelques mots simples, ceux qui apaisent d'une caresse légère les âmes isolées et meurtries ? Je sais que la fierté de ton caractère dérobe à mes yeux le spectacle de tes faiblesses. Ton désarroi est une arme aiguisée que tu brandis, menaçante, vers ta propre image. Tu t'es emmailloté de tes détresses comme on s'enveloppe d'une armure. Mais la cotte est striée, fendue, mal taillée, et le fer n'est là que pour souligner la plaie.
Mon pauvre Sisyphe, tu t'infliges l'horreur de l'attente et des récidives, l'indicible tourment des mouvements éternels et du temps immobile. Tu ne t'accordes même pas la quiétude ombragée des refuges et ce repos que l'on vole, l'instant d'un soupir, à la croisée des chemins.
Pardonne-moi, mon enfant, pour toutes les explications que je ne t'ai pas données, pour les paroles que je ne t'ai jamais dites, pour avoir cru que les actes avaient la profondeur volatile et la simplicité apaisante des mots. Sans doute ai-je commis bien des erreurs. Je pensais taire mes douleurs pour te les épargner. J'imaginais que la bouche saurait être muette sans que le coeur fût bâillonné. J'ai réalisé ma méprise. Le geste n'était pas l'émissaire du verbe mais le reflet d'une incomplétude, un acte lourd et d'autant plus sonore qu'il exacerbait le silence.
Présentation de l'éditeur :
«Moi, docteur Maximilian Gruber, né à Munich, le 6 décembre 1904, indifférent à la politique, mais encore épris d'un bel idéal, j'ai contribué modestement à forger l'arme qui allait un jour endeuiller l'humanité. Pendant des années, je me suis rabattu sur les principaux coupables de ce drame, moi qui me croyais innocent comme l'agneau à la tétée... Mais laissons un moment les grands criminels, mon fils, les Hitler, les Staline, les Goebbels, non, celui qui m'intéresse aujourd'hui, c'est lui, l'homme qui est caché dans la foule, qui acclame et qui crie, lui l'anonyme dont le corps modeste, joint à celui des autres, fait masse, lui l'instrument indispensable, lui qui dira plus tard qu'il était là par hasard, qu'il ne savait pas, qu'il avait mal au ventre ou qu'il était triste, lui qui, peut-être, n'était pas d'accord mais ne l'a jamais crié. Il était là, sur la photo, au milieu de cette boue, c'était moi, c'était nous, les irresponsables.»
Laurent Dingli, docteur en Histoire, a déjà publié chez Perrin Colbert, marquis de Seignelay, et chez Flammarion des biographies de Louis Renault et de Robespierre. Une pureté sans nom est son premier roman.
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