Extrait :
Le Palais de toutes les promesses
EN JUIN 1693, le vent du nord rugissait tant sur Paris que l'on vit les femmes des faubourgs sortir leurs vêtements d'automne, et personne n'aurait su dire de quel mois surgissait ce ciel d'apocalypse. Au cours de cette année, aucune saison n'allait idéalement, délivrant la douceur puis la rudesse et toujours excessivement sans que rien ne domine ou ne dure. Ainsi, le 2 juillet, tout changea brusquement : à la tombée du jour, une tempête brûlante, saturée de sable sang et or, s'engouffra dans le couloir de la Seine recouverte jusque-là d'une bruine aux allures de Toussaint. Ce vent-ci appelé sirocco était chaud. L'été vint donc d'un coup, soudainement, flamboyant. Un assaut sans nuance, déchirant peu à peu, ça et là, le voile de nuages, libérant pour finir un ciel d'azur aux rayons si ardents qu'à midi l'esprit capricieux du Parisien quémandait la fraîcheur qu'il détestait la veille.
L'époque du Roi-Soleil avait déjà connu des phénomènes pareillement extravagants. En hiver, le vin gelait ; au moment de la débâcle, les fleuves s'arrachaient de leur lit, charriant dans un chaos abyssal, poissons, arbres, ragondins et toutes sortes de bêtes méconnaissables sorties de l'enfer, boursouflées par la mort, et, à Versailles, la Cour grelottait. Certains printemps, l'orge pourrissait sur pied, le pain se faisait rare. Sans raison, l'été enfantait l'hiver. L'équilibre de la nature se rompait-il ? Dieu punissait-il Ses enfants ? Ce désordre était tel et durait depuis si longtemps que la terre de certaines régions du royaume de France renonçait à livrer sa manne. Des voyageurs racontaient que, dans les vallées des Alpes, la neige tenait bon en été, qu'il n'y avait rien à manger pour les hommes et les animaux, que la glace ne voulait pas fondre, qu'on mourait de faim, et qu'eux-mêmes, ces êtres fiers devenus vagabonds, avaient déserté leur village, errant depuis, sébile en main, quémandant chaque matin de misère l'obole d'une vie désormais maudite. Mais en janvier de cette année-là, 1693, dans le pays du grand roi Louis XIV, c'était pire encore. Il faisait si froid, le sol était si dur, que l'on renonça à enterrer les morts.
Le laboureur Judicaël Goulwen et son épouse Soizick étaient de ceux que le malheur avait frappé cruellement. Ils avaient perdu leurs trois fils au cours de cet hiver. Audren, l'aîné, n'avait que dix ans. Rien de bon ne pouvant jamais plus se produire sur leurs terres de Benac'h, ils fuirent les lieux dès le premier jour de l'été, poussés par la faim, tournant le dos à l'océan, à l'Ouest, aux racines des Anciens. Un moine du monastère voisin de Loc-Maria leur avait parlé de Versailles où l'on cherchait continûment des bras pour construire et agrandir le château fabuleux de Louis XIV, le Roi-Soleil. Et l'épithète d'un tel monarque n'était-elle pas plus prometteuse que tout l'or de l'Eldorado, ce monde d'aventures dont les marins échoués de Beg Meil à Locquirec parlaient d'un air entendu, en claquant du gosier et en faisant briller leurs yeux ?
Présentation de l'éditeur :
Versailles : 3 000 pièces décorées par une armée d'artistes, 8 000 hectares de marais domestiqués, 6 000 serviteurs pour assister le Roi-Soleil. Cinquante années de travaux acharnés, et des dizaines de milliers d'hommes et de femmes accourant vers ce nouvel Eldorado. Architectes, maçons, aventuriers, soldats, ouvriers, filles de mauvaise vie, voici leur histoire. Celle du Palais de Toutes les Promesses, de 1638, jour de la naissance du futur Louis XIV, à sa mort en 1715.
À travers le destin de trois clans celui du marquis de La Place, de Pontgallet, maçon du roi, et de Toussaint Delaforge, bâtard , de Paris à Versailles, se déroule la saga du plus fabuleux des palais, celui où le soleil ne se couche jamais.
Qui est le père de Toussaint Delaforge, orphelin ? Convaincu qu'on lui cache la vérité, Delaforge s'échappe du terrible collège de Montcler pour percer le secret de ses origines. Livré à la rue, il est recueilli par Pontgallet, bâtisseur du roi qui lui propose une nouvelle vie. Dix ans plus tard, Delaforge a réussi : il construit à Versailles, avant d'autres chantiers prestigieux, les auberges où logent les ouvriers se présentant en masse. Il triche, ment, vole afin de parvenir à ses fins : être un jour assez puissant pour obliger le marquis de La Place à le reconnaître comme son fils. Mais la vérité est-elle toujours où l'on croit ? Comment accomplir cette vengeance sur le chantier même du Roi ?
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