Fritz Wittels (1880-1950) fit la connaissance de Freud en 1905. Il se brouilla avec lui cinq ans plus tard. Disciple enthousiaste et zélé de la psychanalyse qu'il ne reniera jamais, il conservera toutefois un rapport très ambivalent avec son fondateur à qui il consacre, en 1923, un ouvrage intéressant à plus d'un titre :
Sigmund Freud, l'homme, la doctrine, l'école. Il s'agit de la première approche biographique de Freud. Dans cette étude qui se distingue par une liberté de ton souvent irrévérencieuse, on peut avoir le sentiment que l'auteur règle des comptes personnels. C'est précisément ce qui irrita l'intéressé, qui resta toutefois mesuré et courtois dans l'accueil qu'il fit à l'ouvrage. Mais l'intérêt principal du texte, au-delà du détail historique souvent inexact, est de témoigner de la façon dont ont pu être reçues et comprises les idées psychanalytiques alors même qu'elles venaient d'éclore. C'est un climat intellectuel qui nous est relaté, une effervescence non encore décantée où il est encore impossible d'évoquer les idées sans parler des hommes (Adler, Jung, Steckel...). Les mémoires de Fritz Wittels, quant à elles, donnent une autre dimension encore à la figure de leur auteur. C'est dans la Vienne du début du XXe siècle, celle de Karl Kraus et d'Adolf Loos, qu'elles nous font évoluer. La fascination qu'exerça sur le jeune psychanalyste la mystérieuse figure féminine d'Irma Karczewska, jeune "demi-mondaine" ayant conservé de l'enfance la disposition "perverse polymorphe" (peut-être la source d'inspiration de Billy Wilder dans son célèbre film
Irma la douce), donne une véritable intensité romanesque à un récit qui ne passionnera pas seulement les férus d'histoire ou de psychanalyse.
Sur Freud et la Vienne de son temps : P. Gay Freud, une vie (1988). On pourra lire également l'essai d'H. Glaser : Sigmund Freud et l'âme du XXe siècle (1976). --Emilio Balturi