Extrait :
Francfort, Allemagne, mai 1942
Sous un ciel couleur d'ardoise, Marc Kilgour s'engagea sur la passerelle de bois humide menant au pont de l'Oper. Pendant trois décennies, le vieux bateau à vapeur avait conduit des passagers d'une rive à l'autre du Main, avant qu'un incendie ne le contraigne à demeurer au port. Après des années passées à rouiller, la guerre lui avait offert une seconde destination : les autorités allemandes l'avaient reconverti en prison flottante.
L'Oper était amarré à un ponton isolé, à l'est du centre-ville de Francfort. Un lit de vase s'était formé autour de sa coque. Les fenêtres situées sous le pont avaient été obstruées par des planches, les sièges destinés aux touristes démontés afin de laisser place à des rangs d'étroites couchettes.
Marc vivait en ces lieux depuis huit mois. Désormais insensible à l'entêtante odeur de sueur et de tabac froid, il franchit l'étroite galerie qui traversait un dortoir aménagé au niveau du pont. La plupart de ses occupants ayant quitté l'Oper pour rejoindre leur poste, on pouvait distinguer, sous les matelas crasseux garnis de paille, d'innombrables inscriptions gravées sur les lattes de bois.
Un homme attira son attention par un grognement. Seuls les malades les plus gravement atteints étaient dispensés de travail. Marc ne le connaissait pas, mais il avait entendu parler de ce Polonais qui s'était blessé à la main en tentant d'arrimer deux wagons, puis avait contracté une infection qui s'était étendue jusqu'à l'épaule.
Abruti par la fièvre et la douleur, l'inconnu délirait dans sa langue maternelle. Sans doute suppliait-il qu'on lui procure de l'eau ou une cigarette, mais Marc, qui redoutait de s'attirer des ennuis, préféra hâter le pas.
L'escalier menant à l'entrepont conservait les stigmates de l'incendie. Les marches de bois noires de suie crissaient sous la semelle. Marc laissa sa main glisser sur la rampe tordue. En raison de l'absence d'aération, une vive puanteur régnait dans les cales de l'Oper.
Les trois ampoules censées éclairer la coursive avaient rendu l'âme. Plongé dans l'obscurité la plus totale, Marc compta huit pas, sut qu'il se trouvait à la hauteur des toilettes lorsque des effluves fétides lui sautèrent aux narines, puis franchit une petite porte. Une souris détala lorsqu'il pénétra dans une pièce de forme triangulaire. Il se félicita de ne pas avoir affaire aux rats gras comme des lapins qui hantaient la coque du bateau.
Il ne possédait pas de montre, mais il estimait qu'il disposait d'une heure avant que ses cinq compagnons de chambrée ne regagnent le dortoir après douze harassantes heures de travail forcé sur les docks. Il tâtonna dans la pénombre et trouva la baguette en forme de Y qui permettait de maintenir entrouvert le hublot ovale du réduit. La cabine disposait de six couchettes réparties sur deux parois opposées. Placés dans la minuscule travée qui les séparait, un coffre et des caisses retournées faisaient office de mobilier.
Biographie de l'auteur :
Né à Londres le 26 décembre 1972, Robert Muchamore a d'abord mené une carrière de détective privé, avant de se consacrer pleinement à l'écriture. Il est l'auteur de la série de romans pour la jeunesse CHERUB, qui rencontre un succès international. Cette série narre les aventures d'agents secrets membres d'une organisation supervisée par le MI6. Il en tire un spin-off sous forme de préquelle intitulé Henderson's Boys. Tous ces livres sont été publiés en français par Casterman.
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