Extrait :
Elle plante ses yeux dans les miens, je rétrécis, je fonds, j'ai les mains moites, j'ouvre la bouche sans oser bafouiller, je suis venue lui montrer que je suis une femme déterminée, qui ne s'en laisse pas compter. Raté !
- Asseyez-vous, je vous en prie.
Sa voix est chaude, basse, elle devrait être capable de la déformer, la casser, la rendre rocailleuse, le timbre conviendrait, oui, on pourrait entendre Francine quand elle parle. Elle dans la peau de Francine ? Impossible, elle est beaucoup trop belle. Si pomponnée, si camouflée, si trafiquée, chez elle, à trois heures de l'après-midi ! Elle n'acceptera pas. L'idée de ce contre-emploi est un contresens.
Je suis presque certaine, et je pense à ça, pas à ce que j'ai à dire, que les yeux ont été refaits, la bouche regonflée, retendue par des injections, la lèvre supérieure en garde une raideur pathétique. Elle s'est maquillée avec un soin extrême, a pâli ses cernes, redessiné sa bouche au crayon avant de la farder, ombré ses joues d'un fond de teint plus rosé, poudré finement le tout d'une transparente matité. On devine la ride sans la voir dans le visage habilement plâtré, le cou est masqué par une étole d'un beau rouge profond et un bandeau à peine plus clair dissimule ses cheveux. Rien n'est oublié. Même les mains qui clameraient clairement leur âge disparaissent sous les manches larges de sa tunique en cachemire d'où ne dépassent que des griffes bombées parfaitement laquées. Non, rien n'est laissé au hasard.
Je sais tout ça, je la plains au fond de se donner tant de peine. Pour moi, ces artifices ne comptent pas. Mon métier est de réaliser, de presser l'image pour en extraire un peu du jus de la réalité, mais arracher les oripeaux qui défigurent cette femme pour atteindre son désordre est un exploit au-dessus de mes moyens.
- Excusez-moi un instant.
Elle m'abandonne, elle me laisse la chance de me ressaisir. Dès qu'elle a disparu, je me sens effectivement soulagée, presque légère !
Présentation de l'éditeur :
Qui se cache derrière ce fuyard qu'effraient les sirènes de police ? De quel droit ces «trop vieux» s'aiment-ils alors qu'on les préférerait morts ? Pourquoi cette prison, haut lieu de la torture, est-elle un site touristique si apprécié ? Quel terrible secret dévoilera à cette mère «cancérigène» le striptease de sa fille sur une plage ensoleillée ? Une adaptation cinématographique juteuse peut-elle combler un écrivain ?
Ce recueil haletant maltraite des stars brisées par les attraits de la célébrité et des personnages ordinaires piégés par les apparences. Au fil de quatorze nouvelles, c'est un portrait très contemporain de notre époque sur laquelle règne en maître absolu l'image, télévisée, cinématographique et publicitaire, dont les illusions s'envolent à la moindre bourrasque.
Scénariste, auteur d'une quinzaine d'ouvrages, Chantal Pelletier a publié récemment une trilogie des aventures de l'inspecteur Maurice Laice (Gallimard, Série Noire), dont Le Chant du Bouc, Grand Prix du roman noir de Cognac (2001), traduit en quatre langues. Elle est l'auteur, chez Fayard Noir, de L'Enfer des anges.
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