Présentation de l'éditeur :
Février 2015, dix-huit heures et des poussières, attentat terroriste au coeur du
métro parisien. Le tunnel subaquatique entre Concorde et Assemblée nationale
vient d exploser. On ignore l ampleur des dégâts, combien de rames noyées, de
stations inondées.
Le colonel de gendarmerie Rémus, amené par vedette au-dessus du boyau
déchiqueté, plonge dans la Seine et, guidé par ses lunettes infrarouges, parvient
à l arrière d un wagon submergé. Vision d épouvante. Dans la luminance
infrarouge des centaines d yeux écarquillés, morts, de faces agglutinées derrière
les vitres. Il a déjà vu ces faces agglutinées. C est alors qu il reconnaît le visage
de Mino, l enfant qu il élève comme un fils...
Rêve, cauchemar, Rémus vient de le raconter pour la troisième fois à sa
psychothérapeute flic. Les crises ont commencé après qu il a rempli sa mission
dans les Balkans. Il était mandaté pour la mise au jour, avec ses hommes, d un
charnier vieux de trois semaines, mélange de femmes, enfants, vieillards aux
faces agglutinées, sur lequel veillait jalousement un gosse de quatre ans
attendant sa mère, celui qu il appelle depuis Mino.
Rémus et Mino habitent au trentième étage d une tour à Romainville. Ni
Rémus ni Mino ne sont leurs vrais noms. Lui, quarante ans, travaille à l Office
central de lutte contre les atteintes à la santé publique. Il fait partie du groupe 5
qui n a pas d existence officielle, organisme chargé aussi d anticiper à Paris les
actions terroristes et de protéger discrètement les zones à risques.
Rémus, au quotidien, affiche une belle humeur, il est volontiers drôle, il paraît
au mieux dans sa peau. C est un être angoissé qui mange les côtes de boeuf par
deux, et ne fait montre d aucun romantisme envers les femmes qu il consomme
avec une voracité pathologique.
Outre ses potes flics, il a un ami dévoué comme un chien, Anour, journaliste
météo à Europe 3, probablement payé pour le surveiller... C est à Mino que
Rémus raconte parfois ce qu il fait, pour l aider à trouver le sommeil. Il lui dit qu il
enquête, instruit des affaires qui ne sont jamais jugées, jamais évoquées par la
presse, tout le monde a peur. Il lui dit qu il arrête les méchants. Il lui dit que la
réglementation est une escroquerie sur la nourriture. Les plants de tomates
espagnols joufflus poussent d abord en Chine autour des no man s land des
centrales nucléaires. La bonne mine des salades sous vide n est que l effet d un
puissant gaz cancérigène. Il lui dit que les déchets chimiques et domestiques
sont embarqués par des sociétés spécialisées dont les cargos pleins sont coulés
au large. Il l a vu faire plusieurs fois. Il a filmé les scènes, il a vu le capitaine d un
bateau jeté par-dessus bord, à poil et en sang, dans une zone à requins. Il lui dit
qu il travaille en ce moment à l affaire Euroviande, le plus grand réseau de
viandes conditionnées en Europe. Et aussi le plus grand trafic depuis
qu Euroviande s est implanté en Lorraine. Moins de chômage ? Une parfaite
réussite à la française ? On ignore qu Euroviande rachète à bas prix les
élevages de porcs malades, gave les animaux d antibiotiques, et, tels quels, en
fait du corned-beef où se retrouvent les ganglions infectés, le pus des ganglions,
les abcès, leurs peaux mortes. On ignore qu Euroviande possède un stock
d intervention à hauts risques. Il est constitué de milliers de carcasses de bêtes
abattues par les Anglais au temps de la vache folle : prohibées à l importation en
France, revendues par l Angleterre au Brésil, rachetées par Euroviande au
Brésil, les carcasses se retrouvent chez nous sous des labels de traçabilité en
règle.
« Et tout est comme ça, Mino, tout
Extrait :
Après qu'on l'eut violée pour la troisième fois, Onyx alla consulter Melchior, un devin jamaïcain situé rue Frochot dans un sous-sol en contrebas du trottoir. Il réparait aussi les ordinateurs et renseignait les flics. Elle entra, vit un être chétif devant un écran désert, demanda si c'était bien lui, Melchior, le mage, et voulut aussitôt retrouver l'air de la rue. Je suis Melchior, soupira Melchior, et il fit asseoir Onyx à même le lino marron, là où les clients comme les flics s'asseyaient à tour de rôle et se laissaient prendre au charme du vieil escroc. Il s'assit à l'indienne et s'alluma l'une de ces blanches cigarettes de pétasse au parfum mielleux. Je m'imprègne, dit-il au bout d'un moment, un sourire pâle entre les dents, les paupières baissées, je m'imprègne de vous, jeunesse, après je vous dirai pourquoi vos mains tremblent... Onyx sentit courir sur ses lèvres un souffle doux et froid. Le souffle de Melchior, l'enchanteur mélancolique des mouchards et des filles perdues. Le roi des indics. Fier de l'être.
- Vous avez peur de la nuit, peur des hommes.
- J'aimerais changer.
- En pire ?...
La voix filante de Melchior à peine articulée :
-... Les hommes, leur faim de loup, leur insondable appétit vous font horreur... Vous avez de bonnes joues.
- Je ne vois pas le rapport.
- Les filles mentalement fragiles ont les joues creuses... Vous avez vingt-et-un ou vingt-deux ans ?
Le regard lunaire du mage au fond d'un voile de fumée.
- J'en ai vingt-sept.
- Non...
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