Extrait :
Prologue :
Un lion déambulait le long d'une rivière. De quoi aurait-il eu peur ? N'était-il pas le roi des animaux ? Chemin faisant, il croisa un scorpion et le trouva aussi laid que méprisable. Pourtant, le scorpion s'enhardit à lui adresser la parole. En termes élogieux, il vanta sa force, sa beauté, mais aussi sa légendaire générosité à l'égard des êtres faibles et insignifiants comme lui. Flatté, le félin daigna prêter l'oreille aux propos de la bestiole qui reprit de plus belle la longue litanie de son dithyrambe, insistant sur les multiples qualités et vertus du roi des animaux. Touché au plus profond de son coeur de lion, le fauve n'avait plus rien à refuser à son minuscule compagnon. Aussi, lorsque celui-ci lui demanda de lui faire traverser la rivière sur son dos, car il ne savait pas nager, le félin promit de s'exécuter.
Pourtant, avisé et prudent, le lion subodora qu'une telle requête pouvait cacher quelque piège. Il n'ignorait pas que le scorpion pique et injecte un venin. Le venin, arme des faibles, tout juste bon pour les scorpions et les serpents, pensa-t-il ; arme bien superflue pour lui dont les griffes et les crocs inspiraient la terreur. Il demanda néanmoins au scorpion de s'engager à ne point le piquer tandis qu'il serait juché sur son dos au cours de la traversée. Ce dernier réitéra qu'il ne savait pas nager et que piquer son nautonier reviendrait à se suicider, puisqu'ils couleraient alors l'un et l'autre.
Rassuré, le fauve fit monter le scorpion sur son échine et entreprit la traversée.
Alors que l'autre berge est à portée de patte, le scorpion pique subitement son infortuné passeur et bondit sur le rivage. Récrimination indignée du lion : «Tu n'as pas tenu parole, tu m'as piqué !» Et le scorpion de rétorquer : «Je n'y peux rien, c'est dans ma nature !»
Cette fable appartient aux légendes qui se racontent dans le petit monde de l'astrologie. On y insiste, en effet, sur la légendaire générosité du lion, mais aussi sur sa sensibilité à la flatterie, qui ne va pas sans quelque orgueil mal placé. On ajoute que le lion est certes droit, honnête, mais naïf et crédule. À l'inverse, le scorpion et ceux qui sont nés sous son signe n'hésitent pas à user de leur dard. C'est du moins la réputation qu'on leur fait. Leurs stratégies et leurs arrière-pensées restent secrètes, et bien malin qui saurait les décrypter. Comme les voies du Seigneur, celles du scorpion sont impénétrables !
La tradition astrologique veut voir dans le Lion et le Scorpion deux signes forts, mais aux démarches antagoniques. Le premier inspire respect en étalant sa force ; le second évite de brandir son arme mais n'omet pas de s'en servir au bon moment.
Dans cette métaphore, qui donc est le fort ? Et lequel, le faible ? Cette interrogation nous accompagnera tout au long du présent essai.
Présentation de l'éditeur :
Alors que l'on s'apprête à célébrer en 2009 le cent cinquantième anniversaire de la théorie de l'évolution fondée par Darwin dans L'Origine des espèces, ce nouvel essai de Jean-Marie Pelt s'emploie à récuser la fameuse «loi de la jungle» qui, dans une nature réputée «cruelle», serait le seul moteur de l'évolution. Il montre qu'il existe une raison du plus faible : tout au long de l'histoire de la vie sur terre, des premières bactéries jusqu'à l'homme, là où les plus gros et les plus forts n'ont pas su résister aux grands cataclysmes et aux changements climatiques, ce sont souvent les créatures les plus humbles qui ont survécu. C'est aussi parmi les plus faibles que sont nées les plus belles histoires de solidarité, par la symbiose. C'est enfin chez les plus vulnérables que l'ingéniosité adaptative a développé ses plus belles inventions.
Notre société humaine, livrée à un esprit de compétition exacerbé, où les «tueurs» de la guerre économique sont venus renforcer les rangs des guerriers dans la lutte pour le «toujours plus», est promise aux mêmes cataclysmes, financiers ou nucléaires, si elle n'entend pas cette leçon de la nature qui fait de l'égoïsme la maladie mortelle des plus forts et de la solidarité la force indéfectible des faibles.
Dans cet ouvrage fourmillant d'anecdotes puisées au coeur du monde végétal et animal, Jean-Marie Pelt s'en donne à coeur joie pour nous raconter l'extraordinaire énergie des petits, réputés faibles...
Jean-Marie Pelt est professeur émérite de biologie végétale et de pharmacologie à l'Université de Metz et président de l'Institut européen d'écologie. La majorité de ses livres est publiée aux Éditions Fayard.
Avec la collaboration de Franck Steffan
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