Extrait :
Extrait de l'avant-propos
«L'homme détaché écrit le testament du bonheur le jour même de sa naissance.»
Vladimir Jankélévitch, L'Ironie
Rien n'est cool dans nos vies, sinon l'idée qu'elles le deviennent. Ce qui coule dans nos veines a la couleur grise de la mélancolie. La douceur, la quiétude ou la tendresse humaine semblent avoir déserté les champs de nos existences disséminées, simplement raccordées entre elles par un fil fébrile : l'inquiétude d'être au monde. Tous les individus, ou presque, partagent ce sentiment de vulnérabilité, d'impuissance à agir sur le cours réel des choses, d'incapacité à se protéger contre les menaces persistantes d'une époque anxiogène. La détresse du présent excède le cadre brisé du social et des conditions matérielles de la vie de millions de personnes, que rien n'épargne ; elle touche les économies psychiques des individus, écrasés par les périls qu'ils traversent dans les labyrinthes de vies insignifiantes et appauvries.
La souffrance prend de multiples visages. Mais elle est aussi sans visage puisqu'elle contamine confusément les esprits, aveuglés et accaparés par son horizon obsessionnel. Cette souffrance flotte comme un fantôme malfaisant, elle plane comme un spectre. Un spectre qui n'est pas seulement celui de la récession dont les médias prédisent chaque jour l'avènement, mais aussi celui de la régression, de l'éclipsé, de la fin de tout, du progrès comme du monde. La logique de la peur a gagné les esprits. Même ceux qui luttent pour conserver leur lucidité et leur fierté perdent parfois la raison, la raison de vivre.
A côté, ou plutôt au-delà de ceux qui éprouvent objectivement la difficulté d'être, ceux qui en éprouvent tout aussi objectivement la facilité manifestent étrangement leur joie vis-à-vis des privilèges acquis. Au travail, dans les espaces publics, sur les réseaux sociaux, à la télévision..., nos contemporains affichent les stigmates d'animaux sociaux hagards et égarés dans les circuits électrisés d'une énorme machine déréglée et hystérique. Les pulsions agressives et acrimonieuses se lâchent au grand jour. La culture du clash est devenue centrale dans le débat public. Au lieu d'esquisser des issues possibles à la furie ambiante, le désarroi généralisé et diffus produit une stérile foire d'empoigne qui accable et épuise tout le monde. Seuls les experts de ce genre inepte mais souverain de la hargne froide s'en sortent en apparence : leur bile leur sert de viatique. En plus de produire toujours plus d'inégalités entre les catégories sociales, notre époque rend ses contemporains dingues, agités, nerveux. Elle échauffe autant les consciences malheureuses qu'elle réchauffe nos climats. La maison brûle, tout le monde le sait, tout le monde y consent et s'v consume.
Présentation de l'éditeur :
Depuis que Miles Davis a annoncé sa naissance à la fin des années 1950 dans son album Birth of the Cool, le cool flotte parmi nous, comme un horizon, une tentation, une respiration. On l'emploie à tort et à travers : " On se voit demain soir ? Cool. " " Elles sont cool, tes baskets ! " Chaque semaine, des " Mister Cool " émergent des circuits de la pop culture, héros fabriqués d'un monde attiré par le beau, le fun, le frais, le sexy, le calme, le détaché, le glamour... Le mot glisse dans nos mains comme il fond dans nos bouches. Mais à travers lui, nous disons ce à quoi nous tenons le plus : une vie lavée du tragique, libérée des conflits inutiles, attentive aux mouvements du siècle. Car plus que le mot fétiche d'une société marchande, le cool a la beauté secrète d'une allure de vie, d'une manière d'exister, décentré, au coeur du monde. Jean-Marie Durand signe la première histoire du cool, un panorama pop-culturel érudit et pourtant si cool.
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