Il a connu tout ce qu'un fils d'immigrés, noir, pauvre, élevé par une mère seule avec six frères et soeurs, peut connaître de la délinquance des cités : vols et trafics en tous genres, argent facile, frime et rapports de force. Converti à l'islam - ou plutôt à cet islam obscurantiste qui sévit dans certaines banlieues -, il a parcouru les routes de France pour prêcher dans des mosquées de fortune. Il ne compte plus ceux de ses compagnons qui ont été victimes de la violence, qui sont morts d'overdose ou ont cédé à un islamisme agressif, en marge de la société...
Abd al Malik avait tout pour entrer dans l'univers de « la haine », pour franchir le pas qui va de la rébellion adolescente à la violence concrète. Leader du groupe de rap NAP (New African Poets), il aurait pu nourrir ses textes d'imprécations anti-occidentales et de ressentiment. Pourtant, la bénédiction qu'il appelle aujourd'hui sur son pays d'accueil embrasse dans une même sincérité juive, chrétienne ou laïque, sans oublier toutes les femmes. Car Abd al Malik a trouvé sa voie dans le soufisme, islam lumineux centré sur l'amour universel qui l'a réconcilié avec l'esprit de la citoyenneté, et l'a fait entrer dans le Face à face des coeurs.
Je suis né à l'âge de trois ans. Je n'ai aucun souvenir de ce que j'ai pu vivre avant ce 11 octobre 1978 ; à partir de cette date, tout est parfaitement gravé dans mon esprit. Ce jour-là fut celui qu'avait choisi mon petit frère Fayette pour venir au monde, à l'hôpital civil Blanche Gomez de Brazzaville, Congo. Moi, Régis de mon nom de baptême, j'avais vu le jour à Paris dans le 14e arrondissement. J'avais à peine deux ans quand notre père, issu de l'ethnie vili, avait été rappelé au pays pour y exercer de hautes fonctions, après avoir obtenu en France son diplôme de sciences politiques ; il était pressenti comme l'un des futurs conseillers du Premier ministre d'alors. Notre mère, issue de l'ethnie téké, qui avait émigré à contrecoeur et souffrait du mal du pays, s'était réjouie de ce retour quasi inespéré.
Je me revois très bien dans cette chambre d'hôpital au centre de laquelle ma mère, vêtue de blanc et encore allongée, discutait à voix basse avec mon père et mon oncle. J'essayais de comprendre l'objet de leur conversation énigmatique quand mon frère Arnaud, de trois ans mon aîné, me fit un large sourire et me tira par la manche pour m'indi-quer sa trouvaille. Je tournai la tête et je compris enfin : blotti dans les bras de maman, ce petit être tout fripé aux cheveux lisses, tellement minuscule que je ne l'avais pas vu, était le centre de toutes les attentions. Il y avait donc un autre. C'est ainsi que je fis connaissance avec le mystère de la vie.