Extrait :
25 juin 2000 :
près de Broken Head, Saskatchewan
Sam McMahon s'arrêta net, la bouilloire toute fumante, suspendue au-dessus de sa théière en inox au dessin futuriste. Il ne versa pas l'eau. L'oreille tendue, il guettait quelque chose. Sans doute le vent. Oui, la plainte du vent qui balayait la vallée et raclait le toit en tôle ondulée de sa maison. Mais il n'y avait pas de vent. L'air était immobile et sec, et le soleil décapait la terre entière de ses rayons rageurs. Même les moineaux avaient trop chaud pour chanter. Dans le silence de la cuisine, il entendait ses oreilles bourdonner, son coeur battre, une mouche vrombir entre les stores vénitiens et l'une des baies vitrées qui couraient sur toute la façade sud de la maison. Et à nouveau, le faible murmure d'une voix lointaine.
«Oui ?» dit-il en se redressant, concentré sur cet unique son.
Il l'avait d'abord remarqué en soulevant la bouilloire de la cuisinière, quand le sifflement aigu de la vapeur s'était interrompu. Sur la chaîne hi-fi, les derniers accords de Don Giovanni s'estompaient. L'espace d'un instant, dans le silence soudain, il avait entendu la voix qui chuchotait de façon intermittente, avec mélancolie, et il n'avait pu s'empêcher de répondre : «Oui ?» Désormais aux aguets, il percevait toujours le faible murmure, mais à la monotonie du ronronnement, il comprit que ce n'était pas une réponse. Il s'efforça d'en déterminer la source et la signification, jusqu'à ce que le rythme d'une chanson de variétés insipide ne vienne l'interrompre.
C'est à une voix émise par la radio qu'il avait parlé. Michael avait oublié d'éteindre le transistor dans sa chambre.
Il était seul. Peut-être seul pour le restant de ses jours. Toutes les pièces de sa belle maison étaient vides. Sauf celle-ci, la cuisine, où il tenait toujours sa bouilloire suspendue à mi-course, et depuis si longtemps maintenant que l'eau avait cessé de frémir et que le thé n'infuserait jamais s'il se décidait à la verser. Il reposa la bouilloire sur le brûleur et ralluma le gaz.
Présentation de l'éditeur :
Marié, père de famille, le jeune Sam McMahon dirige une agence bancaire dans une petite ville de l'Ouest canadien. Homme de goût, il apprécie les costumes italiens de marque et adore l'opéra. Sam a tout l'air d'avoir «réussi» sa vie... Jusqu'au jour où sa femme le quitte pour son propre frère, qui a repris la ferme familiale. Surgit alors l'ombre de son grand-père, dont il porte le prénom, mort tragiquement l'année de ses neuf ans... Deux voix, celles du grand-père et du petit-fils, tissent un récit doux-amer auquel se mêlent un jeune couple indien, égaré dans une tempête de neige à bord d'une voiture volée, et une Asiatique chargée des repérages sur le dernier film d'un grand cinéaste américain...
Avec un style élégant, un sens de l'espace étonnant, et grâce à de formidables personnages, Lee Gowan, l'un des meilleurs jeunes écrivains canadiens, réussit un roman original et complexe, tout à la fois poignant et drôle.
«Un roman qui emporte littéralement le lecteur et s'attaque à la plus
tendre et la plus terrible des entités : la famille.»
The Globe and Mail
Lee Gowan est né en 1961 à Swift Current (Saskatchewan) où il a grandi. Après un recueil de nouvelles, Going to Cuba, et un premier roman, Make believe love, Jusqu 'au bout du ciel l'a définitivement imposé comme l'un des meilleurs jeunes auteurs canadiens. Lee Gowan enseigne à l'université de Toronto et termine actuellement un nouveau roman.
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