Extrait :
12 mai 1900
Le soleil était maintenant haut sur l'horizon au-dessus de Saint-Julien. Il était presque onze heures du matin. Le premier coup allait bientôt sonner au clocher de l'église quand Angélique Granzac entendit les tintements d'une autre cloche, lointaine celle-ci, dont elle n'aurait sûrement pas remarqué le son grêle si la fenêtre de la salle de classe n'avait pas été ouverte en ce beau matin de printemps.
Elle ne put s'empêcher de penser que trois jours plus tôt rien n'était venu de Montfort pour annoncer au monde la naissance de sa petite soeur Mélanie à Borde rousse, la métairie où elle habitait avec ses parents. Pourtant, le bruit de cristal en lequel la distance entre Saint-Julien et Montfort transformait le son de la vieille cloche pendue au milieu du lierre couvrant le mur du château lui fit plaisir. C'était sûrement Antoine qui avait tiré sur la chaînette, le vieil Antoine qui s'occupait du jardin et du parc depuis si longtemps que les servantes qu'Angélique rencontrait quand on l'envoyait au château, prétendaient qu'il avait commencé dans les premières années du règne de Napoléon III. Cela paraissait inimaginable à la fillette pour qui le temps n'avait pas encore déroulé tous ses mystères. Mais c'était peut-être vrai puisque les filles racontaient qu'il avait débuté peu après le mariage du vieux Léonidas de Charliet, le père de Monsieur.
Angélique ignorait si on ferait une fête à Montfort en cette grande occasion. Car les lingères avaient dit que cela faisait longtemps qu'on attendait cette naissance. Elle avait entendu deux ou trois choses qu'elle avait mal comprises concernant Monsieur et elle s'était demandé pourquoi ces filles riaient pareillement en disant ça !
Elle sursauta. Il lui sembla qu'on venait de prononcer son nom et mit quelques secondes à réaliser que c'était le cas.
- Mademoiselle Granzac. Ah, ça y est ! vous êtes de nouveau parmi nous ?
Elle entendit Fanchette Pradal glousser bêtement derrière elle. Elle leva les yeux et vit que M. Destouches se trouvait devant elle et la regardait par-dessus ses besicles posées sur son gros nez rouge au bout duquel, comme d'habitude, une goutte perlait.
Présentation de l'éditeur :
1900. Depuis des siècles, Montfort, dans le Lauragais, est la propriété des Charliet. Acculé par les dettes et la mauvaise gestion, insouciant du sort des fermiers, Edmond, l'héritier de la famille, est résolu à vendre ses terres. Angélique Granzac n'est encore qu'une enfant lorsqu'elle assiste à la tragédie qui s'abat sur son père et les paysans du domaine, du jour au lendemain sans travail ni ressources. Résolue à échapper à son sort, la petite fille se fait le serment qu'un jour, elle quittera Saint-Julien...
Dans cette saga où les destins individuels se mêlent à la grande Histoire, l'auteur des Hommes du canal et des Belles du midi dépeint une société rurale en pleine mutation à l'aube de la Grande Guerre, évoquant avec émotion l'attachement des hommes à leur terre.
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