"Deux peuples en ton sein": Juifs et Chrétiens au Moyen Age - Couverture souple

Yuval, Israel Jacob

Couverture souple

ISBN 10 : 222620895X ISBN 13 : 9782226208958

Editeur : Albin Michel, 2012

A propos du livre

Extrait :

Extrait de l'avant-propos

La gestation de ce livre, commencé par hasard, s'est déroulée sous le feu d'une polémique orageuse et pénible pour s'achever en léger murmure.
Son origine remonte au semestre de l'été 1992. J'étais alors invité à l'université de Trêves par mon ami le professeur Alfred Haverkamp. À l'occasion d'une promenade en compagnie de mon épouse Esther et de mes trois filles Shlomit, Naomi et Shira, nous arrivâmes devant l'imposante basilique romaine, l'une des principales attractions touristiques de la ville. Au pied du monument, je tirai de ma sacoche la chronique hébraïque de Salomon ben Samson sur la première croisade et je me mis à lire la description des événements dont Trêves avait été le théâtre en 1096. Barricadés dans la basilique, les Juifs de la ville avaient voulu, pour éviter le baptême, se précipiter du haut du toit avec leurs enfants. De fait, cette basilique a quelque chose de glaçant. Elle est d'ailleurs le seul site de toute l'Allemagne à être mentionné dans les chroniques hébraïques contemporaines des croisades. Aucun autre lieu n'exprime plus vivement la terrible tragédie de parents prêts à tuer leur progéniture.
Le spectacle de cette détresse fut également une des rares circonstances où ma profession a croisé mes obligations paternelles ; et ici ma tâche s'avérait particulièrement délicate. La question que le père adressait à l'historien était en effet fort problématique : qu'est-ce qui peut pousser un homme sain d'esprit à précipiter ses enfants dans une mort atroce ? Cette question, je n'étais certes pas le premier à la poser. Mais je crois bien être le premier historien israélien à avoir lu à ses enfants, au pied de la basilique de Trêves, la chronique des événements de l'année hébraïque 4856 [1096]. Me retrouver là, où cette catastrophe avait eu lieu, en compagnie d'enfants du même âge que les victimes les plus innocentes de ce drame, a éveillé en moi des émotions bouleversantes, que les textes seuls ne parviennent pas toujours à susciter.
Le présent livre vient ébaucher une réponse à cette énigme lancinante. Tentative partielle, reconnaissons-le d'emblée. On n'y trouvera pas l'analyse des motivations des martyrs qui ont mis fin à leurs jours avant même d'avoir pu confier aux générations suivantes les raisons de leur geste. Il ne nous reste que les commentaires des rescapés, de ceux qui n'ont pas été tués par les leurs et n'ont pas mis fin à leurs jours, soit qu'ils aient préféré l'apostasie, soit qu'ils aient tout simplement eu de la chance. Sont-ils habilités à parler au nom des victimes ? Il semblerait que non, même si l'Histoire n'est jamais écrite que par les survivants. En l'occurrence, les explications et les récits qu'ils ont laissés sont difficiles à entendre pour l'homme moderne. Au-delà de la pure curiosité historique, la description du comportement des Juifs lors de la première croisade - suicides, meurtres de proches et d'enfants - plonge le lecteur, indifféremment juif ou chrétien, dans des abîmes de perplexité éthique. La thèse que je soutiens ici est qu'un tel comportement ou, plutôt, ce que les chroniques nous en rapportent, a partie liée avec les conceptions messianiques qui traversaient alors le judaïsme ashkénaze; autrement dit, avec une idéologie qui associait le sang versé pour la sanctification du Nom à l'anticipation de la vengeance de ce martyre à la fin des temps. Mourir pour la sanctification du Nom devait permettre de remédier aux souffrances de l'exil, puisque ce sacrifice était censé rapprocher l'heure de la rédemption. On comprend que ce thème ait occupé une place centrale dans l'apologétique d'un judaïsme soumis à une chrétienté en position de domination tyrannique. Cette thèse vise à rendre compte de la dynamique propre à la martyrologie ashkénaze, à ses rites spécifiques et à la spontanéité avec laquelle cette attitude a été adoptée en réaction au défi constitué par les croisades.

Présentation de l'éditeur :

Un livre sur l’histoire des mentalités et des représentations collectives, qui renouvelle en profondeur la perception des relations entre Juifs et Chrétiens au Moyen Âge. Contre la conception dominante d’une différence radicale entre les idées, les symboles et les rituels propres aux Chrétiens et aux Juifs à cette époque, l’auteur postule l’existence d’une relation constante, d’un dialogue étroit entre le langage des symboles juifs et chrétiens. L’histoire juive médiévale est donc envisagée comme un échange constant, un jeu de miroir. Les créations parallèles, les tensions mutuelles, les rivalités et les similarités troublantes caractérisent les relations entre les deux religions qui n’ont cessé de s’observer, de se contredire et de dialoguer. Les Juifs répondent aux attaques des Chrétiens en adoptant les symboles de « l’autre » pour mieux les renverser, les inverser et les détruire. Loin de former deux univers étanches, Juifs et Chrétiens possédaient une subtile connaissance les uns des autres, fondée sur la proximité dialectique, la familiarité avec les catégories théologiques de l’adversaire et sur de constants renversements mutuels d’images, de symboles, de rituels et de pratiques qui structurent leurs univers religieux.
Au-delà des représentations et des clichés dominants, Israel Jacob Yuval nous invite à repenser la définition de l’autre dans le monde médiéval. Il démontre la force structurante, fondatrice des conflits dans la constitution d’une identité, d’une tradition et d’un éthos social spécifique.

À propos de cette édition

• Éditeur: Albin Michel
• Date d'édition: 2012
• ISBN 10: 222620895X
• ISBN 13: 9782226208958
• Reliure: Broché
• Nombre de pages: 448