Extrait :
La république de la propriété
Les deux grands sujets favoris, la liberté et la propriété (que la plupart des hommes prétendent s'efforcer d'obtenir), sont aussi opposés et incompatibles que l'eau et le feu.
Robert Filmer, «Remarques sur la "Politique" d'Aristote»
Ainsi, le plus haut point de la constitution politique est la constitution de la propriété privée.
Karl Marx, Critique de la philosophie du droit de Hegel
D'un ton apocalyptique récemment adopté en politique
Quelque chose d'apocalyptique règne dans les conceptions contemporaines du pouvoir, nous alertant contre les nouveaux impérialismes et les nouveaux fascismes. On explique tout par le pouvoir absolu et l'état d'exception, c'est-à-dire par la suspension générale des droits et l'émergence d'un pouvoir placé au-dessus de la loi. De fait, il est facile de se convaincre de cet état d'exception : la prédominance de la violence pour résoudre les conflits nationaux et internationaux, non en dernier mais en premier ressort ; l'usage répandu de la torture et même sa légitimation ; les innombrables victimes civiles des guerres ; l'effacement de la loi internationale ; la suspension des protections et des droits nationaux. Et la liste ne s'arrête pas là. Cette vision du monde ressemble aux représentations médiévales de l'enfer : des gens brûlent dans une rivière de feu, d'autres sont déchirés membre par membre et, au centre, un grand diable dévore leurs corps tout entiers. Le problème de cette image, c'est qu'elle se concentre sur l'autorité transcendante et que la violence éclipse et mystifie les formes de pouvoir véritablement dominantes qui continuent de nous gouverner aujourd'hui : le pouvoir incarné par la propriété et le capital, le pouvoir enchâssé dans la loi et qu'elle soutient pleinement.
Dans le discours populaire, la vision apocalyptique identifie partout la montée de nouveaux fascismes. Beaucoup parlent du gouvernement fasciste des États-Unis, en citant le plus souvent Abu Ghraib, Guantanamo, Falloujah et le Patriot Act. D'autres taxent le gouvernement israélien de fascisme en renvoyant aux occupations de Gaza et de la Cisjordanie, au recours aux assassinats associé à une diplomatie de bulldozers, et aux bombardements du Liban. D'autres encore emploient le terme d'«islamofascisme» pour désigner les gouvernements et les mouvements théocratiques du monde musulman. Il est vrai que beaucoup utilisent le terme «fascisme» de manière générale pour désigner un régime ou un mouvement politique qu'ils déplorent, comme un simple synonyme de «très mauvais». Mais dans tous ces cas où il est employé, le terme «fascisme» met en lumière le visage autoritaire du pouvoir, sa domination par la force et, corrélativement, il éclipse ou mystifie le fonctionnement quotidien des processus constitutionnels et juridiques ainsi que la pression constante du profit et de la propriété. Les éclairs éblouissants d'une série d'événements et de cas extrêmes rendent de nombreuses personnes aveugles aux structures quotidiennes et persistantes du pouvoir.
Quatrième de couverture :
Toni Negri et Michael Hardt élaborent, depuis des décennies, les bases conceptuelles d'un nouveau projet de démocratie. Constatant la faillite des grandes catégories politiques modernes (souveraineté ; syndicats et partis de masse ; peuple), posant comme nouveau sujet politique de l'époque la multitude, c'est-à-dire «l'ensemble de ceux qui travaillent sous la tutelle du capital et donc, potentiellement, la classe de ceux qui refusent la domination du capital», ils définissent les modalités de la résistance à opposer à l'Empire - ce pouvoir qui prend lui-même la forme d'un réseau diffus pour tâcher de conserver la mainmise sur la production biopolitique, en se répartissant entre de grandes sociétés privées (entreprises multinationales), quelque grands États-nations et une série d'organisations supranationales (l'ONU, le FMI, la Banque mondiale). Commonwealth (le «bien commun» de la tradition radicale anglaise) poursuit la critique en posant la nécessité d'instituer et de gérer un monde de richesses partagées. Le commun en question est de nature écologique mais aussi biopolitique, puisque ce sont les connaissances, langages, images, codes, affects et réseaux de communication qu'une société produit de manière collective. Face à une République («chose publique») devenue république de la propriété privée - tant au niveau national que global - au fil des constitutions et des grandes révolutions bourgeoises, la multitude doit apprendre à se réapproprier le commun, et devenir par là un projet d'organisation politique.
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