Extrait :
Wegener ouvrit la fermeture Éclair de son pantalon de velours côtelé, sortit son pénis avec deux doigts et se détendit. Pendant quelques secondes rien ne se passa, puis l'urine chaude crépita sur les feuilles mortes, toujours par giclées, un jet s'épuisait, puis jaillissait le suivant en un arc fumant bientôt remplacé par le prochain. Les jambes écartées, Wegener tenait le compte : le jet se forma dix fois, onze fois, douze fois, brusquement tari en quelques gouttes.
Si vous devez vous éloigner de la scène de crime, veillez au moins à ne pas revenir avec des chaussures couvertes de pisse, disait toujours Früchtl, qui pourtant n'y parvenait jamais, et, s'il n'avait jamais fait la remarque, personne n'aurait prêté attention à ses chaussures.
Wegener redressa la tête. Contempla la nuit. Le revêtement métallique du pipe-Une étincelait au clair de lune, ligne argentée qui se perdait entre les arbres. Cette ligne continuerait de briller si on la suivait, toujours à la même distance, à travers un labyrinthe de chênes et de piliers de béton, surplombant durant des kilomètres le sol recouvert de feuilles craquantes jusqu'à la frontière entre les deux secteurs.
Ce tuyau éclaire la voie vers l'Ouest, pensa Wegener, ce tuyau est le fil d'Ariane du socialisme. Et il ne put réprimer un sourire. S'ils entendaient cela, en haut lieu, ils secoueraient la tête et préciseraient : A première vue peut-être, mais si on regarde plus attentivement, il devient évident que ce tuyau illumine bien davantage la voie vers l'Est, vers le coeur de l'Union socialiste, jusqu'à l'Oural, et même jusqu'en Sibérie, c'est une différence de taille, seul le gaz passe à l'Ouest, rien d'autre.
Wegener secoua son pénis, le rentra dans son pantalon, referma la fermeture Éclair. Au coeur de la forêt, les projecteurs de la police scientifique flamboyèrent, formant des taches lumineuses éparses, qui se multiplièrent et se rassemblèrent bientôt pour n'en former qu'une seule vers laquelle il se dirigeait, presque aveuglé, comme vers la lueur au bout d'un tunnel obscur, trébuchant sur les branches et les buissons, jusqu'à ce qu'il fasse assez clair inspecter ses chaussures : deux éclaboussures sur la droite, une sur la gauche.
Lienecke et ses hommes avaient installé huit spots, quatre de chaque côté du pipe-line, qui avait perdu ses reflets argentés et paraissait couvert de taches et de mousse. Le plus grand de ces nombreux tuyaux était découpé par l'Allemagne de l'Est en bandes de plus en plus fines. Cela faisait un long moment déjà que, derrière la rubalise de la police flottant au vent, le représentant du ministère de l'Énergie et ses agents de sûreté se tenaient comme des badauds pétrifiés d'ennui. A côté d'eux le générateur bourdonnait, des câbles rouges grimpaient en haut de la colline en serpentant au milieu des feuilles, telles des traces de sang séché. Lienecke distribuait des sacs-poubelle par cartons entiers. Ses assistants s'employèrent à ramasser les feuilles et à les enfourner dans les sacs aussi minutieusement que des fourmis, comme si le bureau politique venait de décréter l'interdiction des feuilles mortes avec effet immédiat. Comme chaque fois qu'il voyait travailler Lienecke et ses hommes - plongeant, escaladant, creusant, décollant, raclant, empaquetant, classant - Wegener était heureux de ne pas avoir à rassembler les pièces du puzzle, de pouvoir se reposer sur ces gars qui savaient depuis longtemps qu'une carrière dépendait d'une goutte de sueur, de sperme ou d'urine sur une chaussure, et qu'une patience était un don rare qui vous menait loin, surtout en République démocratique allemande.
Biographie de l'auteur :
Simon Urban est né à La Haye en 1975. Ses nouvelles ont gagné de nombreux prix. Il vit actuellement à Hambourg. Plan D est son premier roman, déjà traduit dans 9 pays.
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