Loin des poncifs sur le nietzschéen de droite blond et brutal aux yeux bleus, Georges Palante (1862-1925) incarna la possibilité d'un nietzschéisme de gauche. Souffrant d'une malformation congénitale qui le transformait en monstre aux allures simiesques, ce philosophe méconnu consacra en effet tout son talent à échouer : avec ses élèves au lycée ; dans la ville de province bretonne (Saint-Brieuc) où il enseigna la philosophie ; avec les femmes, avec les institutions - dont l'université -, avec ses proches, il se transforma avec brio en bourreau de lui-même -, puis se suicida en se tirant une balle dans la tête face à un miroir... Alcoolique, handicapé, joueur de poker, corrigeant ses copies de Bac dans un bordel, vivant avec une illettrée, ancienne fille à matelots, chasseur myope ratant son gibier, modèle du roman de Louis Guilloux
Le sang noir, choisissant pour directeurs de thèse ceux qu'il pourfendait dans son travail universitaire, il proposa la première formule du nietzschéisme de gauche en France, inaugurant ainsi un courant vivace de Caillois à Bataille, pour la deuxième génération, de Foucault à Deleuze pour la troisième - en attendant la quatrième.
Michel Onfray, né en 1959, a écrit une vingtaine de livres dans lesquels il formule un projet hédoniste éthique (La sculpture de soi, prix Médicis 1993), politique (Politique du rebelle, 1997), érotique (Théorie du corps amoureux, 2000), pédagogique (Antimanuel de philosophie, 2001), épistémologique (Féeries anatomiques, à paraître).
Depuis son prix Médicis-essai pour La sculpture de soi, Michel Onfray n'a cessé de s'imposer comme l'un des meilleurs essayistes de sa génération. Cet essai sur Georges Palante est de fait, le premier livre écrit par Michel Onfray. Il l'a publié, voici quinze ans, aux édition Folle Avoine - qui n'existent plus - et sa réédition s'imposait, tant s'y résume et s'y annonce toute la philosophie de l'auteur. Qui était Georges Palante ? Peu de gens se souviennent de ce philosophe si particulier, et rares sont ceux qui le lisent encore, bien que ses « oeuvres complètes » soient en voie de réédition, pour février 2002, aux éditions Alive. Pourtant, Palante (1862 - 1925) était un personnage essentiel du paysage philosophique de ce début de siècle. Louis Guilloux en avait même fait le modèle de son héros dans Cripure (c'est-à-dire : « critique de la raison pure »). Nietzschéen, engagé à gauche, aristocratique et libertaire, théoricien de « L'Ariste » (concept résumant son idéal aristocratique et artiste), Palante enseigna la philosophie et eut une existence assez misérable (alcool, drogue, mauvaises fréquentation...) qui le mena à un suicide tragique. Pour Michel Onfray la figure de ce philosophe est donc, en quelque sorte, inaugurale. C'est là, dans son oeuvre, qu'il a puisé les concepts et la vision d'un monde dont il n'a cessé depuis d'explorer les thèmes (hédonisme, anarchisme, primauté du corps). Son essai est, à la fois, une biographie, un commentaire et un prolongement de l'oeuvre de Palante : il est écrit dans une langue pure et sensible. On peut s'attendre, avec la réédition de ce livre, à une presse pleine de curiosité et d'intérêt pour cet « illustre inconnu » enfin ressuscité.