Revue de presse :
Comment sonder le désarroi général sans tomber dans les généralités ? En s'intéressant à mille cas particuliers. Ainsi Virginie Despentes, dans l'excellent premier tome de Vernon Subutex, qui commence comme un polar urbain pour se développer en une vue en coupe de Paris et des Parisiens d'aujourd'hui...
Vernon Subutex n'est pas le seul à connaître une dépression existentielle : son désastre personnel semble une métonymie de la France en crise. Virginie Despentes décrit l'un et l'autre avec le même talent. (Alexis Brocas - Le Magazine Littéraire, décembre 2014)
Virginie Despentes a toujours marché à l'énergie. C'est écrit sur les chapeaux de roue. Que sont nos idéaux devenus ?...
Vernon Subutex s'appréhende comme un roman policier, comme un roman sociologique, comme un roman urbain. Des êtres en vie se débattent dans une société gagnée par la mort des idéaux. Seuls, ils disent leur vie, mais ensemble, ils disent la vie. On peut faire tourner Vernon Subutex entre ses doigts comme une pierre précieuse changeant de couleur à la lumière du jour. La chaleur humaine s'immisce en de multiples et minuscules endroits de l'histoire. Est-ce bien normal ? La nuit n'est pas encore entièrement tombée. (Marie-Laure Delorme - Le Journal du Dimanche du 28 décembre 2014)
Sans domicile, sans famille, sans attaches - ses amis sont morts ou ont déserté Paris, trop chère, trop dure -, Vernon Subutex entame sa dérive. Projeté dans la ville comme une sonde, comme une sorte de caméra endoscopique par Virginie Despentes, qui, à travers cet antihéros radical, sa déambulation au jour le jour, ses hébergements provisoires, ses rencontres éphémères, ses poursuivants dont il ignore l'existence - car le roman est un polar,(...), dresse de la société pleinement contemporaine une formidable radioscopie, rapide, âpre, crue, fourmillante, proliférante, et surtout remarquablement incarnée...
La maîtrise avec laquelle Virginie Despentes orchestre cette polyphonie impressionne, autant que la justesse de son regard engagé et l'énergie folle qu'elle déploie pour faire entendre le malaise général qui étreint le vaste échantillon d'humanité peuplant ces pages... (Nathalie Crom - Télérama du 7 janvier 2015)
Vernon Subutex est un ancien disquaire parisien, quadragénaire, héros obscur de la contre-culture. Il a perdu sa boutique avec la fin du métier, mais aussi des amis, morts du crabe ou de la drogue, puis son RSA...
Il finit SDF - momentanément : le livre aura une part II. C'est un roman-feuilleton, avec son moralisme accusateur et affiché comme chez les réalistes socialistes, son naturalisme des marges, son sens du portrait et des rebondissements, son goût des bas-fonds et des monstres : les Mystères de Paris (et de Barcelone) au temps des traders darwinistes et cocaïnés, du porno low-cost, des racailles machistes, des producteurs «hétéro beaufs», des trans, des filles voilées et des sans-culottes d'Internet ; au temps des possédés. (Philippe Lançon - Libération du 8 janvier 2015)
Fresque sociale, chronique urbaine, une pointe de polar : son Vernon est captivant de bout en bout et sonne terriblement juste...
Vernon Subutex, en fait, c'est l'incarnation de toutes nos peurs contemporaines, de la merde qu'on préfère ne pas trop remuer de crainte d'y plonger...
Vernon Subutex, ce n'est que le premier tome de ce qui serait une trilogie. Et c'est tant mieux, parce que l'auteur sait tellement bien susciter l'empathie et ficeler, mine de rien, une intrigue, qu'on y est accro comme à la meilleure des séries, aussi gris soit le monde dépeint. (Charlotte Pons - Le Point du 15 janvier 2015)
D'un bord à l'autre de l'échiquier politique et du spectre sociologique, d'un bout à l'autre de Paris, tous ces personnages auxquels Virginie Despentes donne corps (Vernon est, volontairement, le plus fantomatique du lot) lui permettent d'explorer de larges pans de la société, et les sujets qui la passionnent : les formes de la domination sociale et sexuelle ; le rapport de chacun à son identité ; ce qui reste d'une génération quand elle a vieilli, perdu ses étendards et ses illusions. Fine observatrice de son temps, l'auteure est aussi - comme Vernon - une formidable DJ, qui a le sens du rythme, des enchaînements improbables, des mixages risqués, ce qui lui permet de proposer avec Vernon Subutex un roman énergique, bourré d'humour, et pourtant tout entier traversé par la mélancolie et le désabusement. Le genre de mélange auxquels on devient vite accro. Bonne nouvelle : le deuxième tome de Vernon Subutex est prévu pour le mois de mars. (Raphaëlle Leyris - Le Monde du 22 janvier 2015)
A 45 ans, elle publie son dixième livre, quatre ans après avoir emporté le prix Renaudot avec «Apocalypse bébé», huit après le succès du manifeste féministe «King Kong Théorie», quinze après avoir provoqué, avec l'adaptation cinématographique de «Baise-moi», le dernier scandale en date pour atteinte artistique aux bonnes moeurs. Premier tome de ce qui se dessine comme une trilogie, «Vernon Subutex, 1» confirme que Virginie Despentes est une auteur de roman noir. On y suit les pérégrinations d'un disquaire vieillissant que la crise a jeté à la rue...
Machine narrative efficace, boulonnée avec minutie et savoir-faire, «Vernon Subutex» est aussi une manière pour Despentes de traverser en coupe la société contemporaine, de montrer qu'elle n'a plus grand-chose de rock et qu'on s'y ennuie beaucoup...
Le monde a bien changé. La jeunesse est devenue réac, consumériste, religieuse. Le vieil impératif de l'émancipation fait bâiller. Les rockeurs ont été remplacés par des rappeurs qui parlent de leurs montres hors de prix et de leur amour des femmes-objets. (David Caviglioli - L'Obs du 8 janvier 2015)
Virginie Despentes raconte la lente descente aux enfers d'un ancien disquaire tombé dans la précarité. Une déroute qui tient très bien la route !...
Despentes n'est pas folle : chaque étape est l'occasion d'un vrai reportage sur l'époque. Il y a même des moments d'enchantement quand Subutex tombe raide amoureux - c'est le cas de le dire puisqu'il s'agit d'un transsexuel qui met le feu au matelas. Le mieux, c'est que tout est raconté sans reprendre son souffle, au rythme d'un polar, car Subutex, dans son naufrage, a conservé la confession filmée d'une star de la chanson que plusieurs personnes veulent à tout prix récupérer. Ce qu'ils feront sans doute dans le tome II, puisqu'il y aura bientôt une suite. Et tant mieux car, dans ce livre où toute la tristesse du monde passe dans le dialogue d'une clocharde avec son chien, un auteur se baisse au niveau du trottoir pour voir le vrai visage de la France. Et c'est poignant. (Gilles Martin-Chauffier - Paris-Match, janvier 2015)
Peut-on mieux raconter la solitude contemporaine ? Vernon Subutex, par Virgine Despentes est un grand livre parce qu'il dérange. A l'heure où la liberté d'expression est assassinée, un remède : lire. Lire encore. Lire toujours. Et lire les bons livres. C'est-à-dire ceux qui bousculent les dogmes. Ceux qui grattent à la paille de fer. Ceux qui défendent la liberté de l'esprit. Si les écrivains ont tous les droits -n'en déplaise aux fous furieux, aux cons et aux terroristes-, il faut que nous, lecteurs, ayons toutes les audaces. A commencer par celle-ci : lire ce qui nous dérange...
Virginie Despentes est un écrivain remarquable, à la plume tantôt fine et tantôt déliée. On retrouve sa hargne, sa colère, à travers des phrases dures comme les pierres. On découvre son ton, précis et juste, loin de la caricature. Assagie, Virginie Despentes ? Je ne sais pas et peu importe. Ecrivain, en tout cas. (François Busnel - L'Express, janvier 2015)
A 20 ans, ils étaient punks. Et à 50, à quoi ressemble leur vie ? Virginie Despentes voyage à travers les classes sociales et les évolutions de la société française. Premier volume d'un roman-fleuve, le plus ambitieux de son auteure, qui vient de recevoir le Prix Anaïs Nin. Cette nouvelle année commence en exauçant l'un de nos voeux : on attendait depuis longtemps qu'un écrivain français signe un grand roman sur l'état de notre société, et Virginie Despentes l'a fait avec Vernon Subutex, son septième roman...
Punchlines, mots justes, humour au vitriol sont au rendez-vous d'un roman ultraserré, nerveux, dense, en forme de vrai-faux polar. (Nelly Kaprièlian - Les Inrocks, février 2015)
Extrait :
Les fenêtres de l'immeuble d'en face sont déjà éclairées. Les silhouettes des femmes de ménage s'agitent dans le vaste open space de ce qui doit être une agence de communication. Elles commencent à six heures. D'habitude, Vernon se réveille un peu avant qu'elles arrivent. Il a envie d'un café serré, d'une cigarette à filtre jaune, il aimerait se griller une tranche de pain et déjeuner en parcourant les gros titres du Parisien sur son ordinateur.
Il n'a pas acheté de café depuis des semaines. Les cigarettes qu'il roule le matin en éventrant les mégots de la veille sont si fines que c'est comme tirer sur du papier. Il n'y a rien à manger dans ses placards. Mais il a conservé son abonnement à Internet. Le prélèvement se fait le jour où tombe l'allocation logement. Depuis quelques mois elle est versée directement au propriétaire, mais c'est quand même passé, jusque-là. Pourvu que ça dure.
Son abonnement de téléphone portable a été suspendu, il ne se casse plus la tête à acheter des forfaits. Face à la débâcle, Vernon garde une ligne de conduite : il fait le mec qui ne remarque rien de particulier. Il a contemplé les choses s'affaisser au ralenti, puis l'effondrement s'est accéléré. Mais Vernon n'a cédé ni sur l'indifférence, ni sur l'élégance.
Il a d'abord été radié du RSA. Il a reçu par courrier une copie du rapport le concernant, rédigé par sa conseillère. Il s'entendait bien avec elle. Ils se sont rencontrés régulièrement pendant près de trois ans, dans le box étroit où elle faisait mourir des plantes vertes. La trentaine, pimpante, fausse rousse, dodue, grosse poitrine, madame Bodard parlait volontiers de ses deux garçons, qui lui donnaient des soucis, elle les emmenait régulièrement voir un pédiatre, dans l'espoir qu'il annonce une hyperactivité justifiant un traitement sédatif. Mais le médecin les trouvait en pleine forme et la renvoyait dans ses cordes. Madame Bodard lui avait raconté avoir vu AC/DC et Guns N'Roses en concert, avec ses parents, quand elle était petite. Aujourd'hui elle préférait Camille et Benjamin Biolay, et Vernon s'était gardé de tout commentaire désobligeant. Ils avaient longuement parlé de son cas : il avait été disquaire entre vingt et quarante-cinq ans. Dans son domaine, les offres d'emploi étaient plus rares que s'il avait travaillé dans l'extraction du charbon. Madame Bodard avait suggéré une reconversion. AFPA, GRETA, CFA, ils avaient consulté ensemble les stages qui lui étaient ouverts, et ils s'étaient quittés en bons termes, d'accord pour se retrouver et refaire le point. Trois ans plus tard, sa candidature pour préparer un BEP de services administratifs n'avait pas été retenue. De son côté, il estimait avoir fait ce qu'il avait à faire, il était devenu expert en dossiers et les préparait avec une belle efficacité. Il avait acquis à la longue la sensation que son job consistait à traîner sur Internet à la recherche de cases auxquelles son profil correspondrait, puis à envoyer des CV lui permettant d'obtenir en retour des preuves de refus. Qui voudrait former un quasi-quinquagénaire ? Il s'était bien dégoté un stage dans une salle de concert en banlieue, un autre dans une salle de cinéma art et essai - mais à part sortir un peu, se tenir au courant des problèmes de RER et rencontrer du monde, tout cela lui procurait avant tout une pénible impression de gâchis.
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