Extrait :
Mon éducation s'est faite dans trois langues «mortes» : l'hébreu, l'araméen et le yiddish (que certains se refusent à considérer comme une langue à part entière), et dans un enseignement qui a pris naissance à Babylone : le Talmud. Le heder où j'allais enfant était une simple pièce dans laquelle le professeur mangeait et dormait, et où sa femme faisait la cuisine. Là, ce n'était pas l'arithmétique, la géographie, la physique, la chimie ou l'histoire que j'étudiais, mais les lois régissant la consommation des oeufs pondus les jours de fête, et des sacrifices qui avaient eu Heu dans un temple détruit deux mille ans plus tôt. Bien que mes ancêtres se fussent établis en Pologne six ou sept cents ans avant ma naissance, je ne connaissais que quelques mots de polonais. Nous habitions à Varsovie, rue Krochmalna, dans ce qu'on aurait bien pu appeler un ghetto. En fait, pendant l'occupation russe, les Juifs de Pologne étaient libres de vivre où bon leur semblait. J'étais un personnage anachronique à tous points de vue, mais je l'ignorais ; de même que je ne savais pas que mon amitié pour Shosha, la fille de nos voisins, Bashele et son mari Zelig, avait quelque chose à voir avec l'amour. Les histoires d'amour, cela se passait entre des jeunes gens mondains, qui se rasaient la barbe et fumaient des cigarettes le jour du shabbat, et des filles qui portaient des corsages à manches courtes et des robes décolletées. De telles sottises ne pouvaient concerner un écolier de sept ou huit ans issu d'une famille de hassidim.
Présentation de l'éditeur :
Prix Nobel de littérature en 1978, Isaac Bashevis Singer évoque ici la communauté juive de Pologne à la veille de l?holocauste. Dernier adieu nostalgique à son enfance, illuminée par la présence radieuse de la petite Shosha et menacée déjà des premiers feux de l?apocalypse.« Soudain, j?eus le sentiment que je voyais tout cela pour la dernière fois. J?essayais de graver dans ma mémoire chaque ruelle, chaque maison, chaque magasin, chaque visage. Je me disais que c?était sans doute ainsi qu?un condamné en route vers l?échafaud regarderait le monde. Je prenais congé de chaque colporteur, de chaque portier, de chaque marchand ambulant ? même des chevaux des droshkys, dont les grands yeux à la pupille noire semblaient exprimer un mélange d?angoisse et d?acceptation, comme s?ils savaient qu?ils en étaient à leur dernier voyage. »
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