Revue de presse :
Et c'est peu de dire que, pour cette deuxième «saison», l'écrivaine fait le choix de surprendre. A l'infinie noirceur du premier tome succède la lumière qui baigne celui-ci - une lumière un peu vacillante, se faufilant par des vitres brisées, mais une lumière quand même. La solitude dont crevaient les personnages cède la place à une drôle de solidarité...
Si l'on est surpris par la douceur qui se dégage de ce tome II, si l'on ressent le manque, parfois, de l'énergie que la colère donnait au premier, force est de constater que cette douceur gagne le lecteur. Parce qu'elle n'a rien de lénifiant (pas franchement le genre de la maison Despentes) ; parce qu'elle n'amollit pas le sens de l'observation de l'auteure, la meilleure pour dire la brutalité de son époque et décrire le désarroi politique généralisé. Elle continue de nous plonger, avec une finesse sidérante, dans les têtes, les coeurs mais aussi les corps de ses personnages, qui décident de ne plus se résoudre à l'accablement. (Raphaëlle Leyris - Le Monde du 4 juin 2015)
Avec la suite de «Vernon Subutex», Virginie Despentes signe un grand roman politique, puissamment contestataire. Où elle dévoile sans complaisance notre temps en nous offrant un antidote possible. (Nelly Kaprièlian - Les Inrocks, juin 2015)
Ils ont 20, 40, 70 ans, ils sont retraités, SDF, salariés plus ou moins précaires, les uns plutôt marginaux, les autres tant bien que mal intégrés dans l'ordre économique et social tel qu'il fonctionne - et dysfonctionne, surtout, malmène et brutalise les individus... Ils sont une quinzaine, dont pour la plupart on avait fait connaissance dans le premier volume. Les revoici, assemblée hétérogène d'individus dispersés à tous les horizons de la sphère sociale mais physiquement réunis, comme agglomérés autour de Vernon Subutex...
Il faudra attendre l'ultime volet de la trilogie pour connaître la destinée que Virginie Despentes réserve à cette improbable faction. D'ores et déjà, dans ce Vernon Subutex 2, ce qui captive, ce qu'on admire, c'est l'acuité avec laquelle l'écrivaine se saisit de la réalité contemporaine, la netteté de son regard sur notre société et des mots qu'elle trouve pour la décrire, l'inflexible désaveu qu'elle oppose à ses règles et ses dogmes pervers. (Nathalie Crom - Télérama du 4 juin 2015)
Elle procède par portraits. Peut-être n'est-elle pas en mesure de peindre la société dans ce qu'elle a de plus banal - les classes moyennes, ou bien une certaine forme de pouvoir qui n'appartiendrait pas au spectacle. Mais elle circule dans les marges, en haut et en bas, là où ses lecteurs ne vont pas. (Claire Devarrieux - Libération du 18 juin 2015)
Paru en janvier, le premier tome marquait son retour à la fiction. Le second prouve sa puissance littéraire...
Peinture du Paris bobo mais aussi zonard et, malgré deux ou trois traits sociologiques trop gros, ce roman très noir profite d'un décorum déjà installé chez le lecteur pour aller plus loin politiquement, psychologiquement, mais aussi poétiquement. Rarement Despentes était à ce point parvenue jusqu'aux «passages secrets dans le temps et le solide des choses». (Hubert Artus - Marianne, juin 2015)
Extrait :
Vernon attend qu'il fasse nuit et qu'autour de lui toutes les fenêtres se soient éteintes pour escalader les grilles et s'aventurer au fond du jardin communautaire. Le pouce de sa main gauche le lance, il ne se souvient plus comment il s'est fait cette petite écorchure, mais au Heu de cicatriser, elle gonfle, et il est étonné qu'une blessure aussi anodine puisse le faire souffrir à ce point. Il traverse le terrain en pente, longe les vignes en suivant un chemin étroit. E fait attention à ne rien déranger. Il ne veut pas faire de bruit, ni qu'on détecte sa présence au matin. Il atteint le robinet et boit avec avidité. Puis il se penche et passe sa nuque sous l'eau. Il frotte vigoureusement son visage et soulage son doigt blessé en le laissant longuement sous le jet glacé. Il a profité, la veille, de ce qu'il faisait assez chaud pour entreprendre une toilette plus poussée, mais ses vêtements empestent tant qu'après les avoir remis, il se sentait encore plus sale qu'avant de se laver.
Il se redresse et s'étire. Son corps est pesant. Il pense à un vrai lit. A prendre un bain chaud. Mais rien n'accroche. Il s'en fout. Il n'est habité que par une sensation de vide absolu, qui devrait le terrifier, il en est conscient, ce n'est pas le moment de se sentir bien, cependant rien ne l'occupe qu'un calme silencieux et plat. Il a été très malade. A présent la fièvre est retombée et il a retrouvé depuis plusieurs jours assez de force pour se tenir debout. Son esprit est affaibli. Ça reviendra, l'angoisse, ça reviendra bien assez tôt, se dit-il. Pour l'instant, rien ne le touche. Il est suspendu, comme cet étrange quartier dans lequel il a échoué. La butte Bergeyre est un plateau de quelques rues, auquel on accède par des escaliers, on y croise rarement une voiture, il n'y a ni feu rouge, ni magasin. Rien que des chats, en abondance. Vernon observe le Sacré-Coeur, en face, qui semble planer au-dessus de Paris. La pleine lune baigne la ville d'une lueur spectrale.
Il débloque. Il a des absences. Ce n'est pas désagréable. Parfois, il entreprend de se raisonner : il ne peut pas rester là indéfiniment, c'est un été froid, il va choper une nouvelle crève, il ne doit pas se laisser aller, il faut redescendre en ville, trouver des vêtements propres, faire quelque chose... Mais alors même qu'il tente de renouer avec des idées pragmatiques, ça démarre : il part en vrille. Les nuages ont un son, l'air contre sa peau est plus doux qu'un tissu, la nuit a une odeur, la ville s'adresse à lui et il en déchiffre le murmure qui monte et l'englobe, il s'enroule à l'intérieur et il plane. Il ne sait pas combien de temps cette folie douce l'emporte, à chaque fois. H ne résiste pas. Son cerveau, choqué par les événements de ces dernières semaines, aura décidé d'imiter les montées de stupéfiants qu'il a ingérés, au cours de sa vie antérieure. Ensuite, à chaque fois, c'est un déclic subtil, un réveil lent : il reprend le cours normal de ses pensées.
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