Notre société nous incite à penser la " réussite " sur le mode du rêve éveillé. Rêves de possession : " On dirait qu'on aurait gagné à la loterie... " Rêves de séduction : nous voici - enfin - dotés de qualités sublimes, virtuoses d'un instrument dont nous n'avions jusqu'alors tiré que des sons crispants, champions d'un sport qui commençait à nous décourager, dotés à l'égard des autres de vertus insoupçonnées... Pour répondre à la question de la " vie bonne ", les sagesses anciennes invitaient les hommes à régler leur vie sur des principes transcendants. Elles voyaient, par exemple, en l'harmonie de la nature ou la splendeur du divin, des modèles à imiter. Longtemps encore après la " mort de Dieu ", l'humanité a éprouvé le besoin de sacraliser des idéaux - la patrie, la révolution - pour donner un sens à l'existence. Ces objectifs s'estompent. Ce livre évoque les grandes réponses que nos prédécesseurs avaient apportées, les vies idéales qu'ils avaient imaginées. Il montre ce qu'elles avaient de beau, de puissant et ce qu'elles pourraient nous apporter encore. Mais, au-delà de ce récit, il propose une réponse nouvelle à cette antique interrogation. Il se peut bien, en effet, que notre monde laïque soit moins hostile aux transcendantes qu'on ne le dit ; que nous inaugurions, sans bien y prêter attention, l'époque du réenchantement du monde.
Qu'est-ce que réussir, posséder, partager, créer ? Que signifient ces interrogations dès lors que l'on ne pose pas, avant tout, la question du sens de l'existence... c'est-à-dire le sens d'une "vie bonne" selon les Anciens. Dans cet essai, le philosophe Luc Ferry parcourt de sa plume avertie les métamorphoses de l'idée de bonheur à travers l'histoire. Il rappelle que chez les Grecs, l'idée du bonheur est inséparable d'un sentiment d'harmonie avec l'ordre du monde. Le monothéisme religieux quant à lui promet une félicité par-delà la mort. Avec la philosophie des Lumières, surgit à nouveau l'idée d'un bonheur ici-bas, ainsi qu'un humanisme de l'homme "bon". Enfin, pour ne citer que quelques exemples, la philosophie nietzschéenne exalte l'idée d'une vie individuelle, énergique et intense. Luc Ferry présente avec autant d'objectivité que de rigueur chacune de ces conceptions. Pour nous aider à mieux penser et accepter notre humaine condition. Et derrière les formes diverses du bonheur, il semblerait que demeurent quelques valeurs immuables, telles l'amour, l'action... Fort de cette magistrale (mais jamais trop savante) leçon de philosophie, le lecteur poursuivra seul sa quête. Tant il est vrai aussi, comme le souligne Luc Ferry, qu'une vie réussie est le produit de nos choix établis dans le silence de notre cheminement intérieur.
Luc Ferry est aujourd'hui ministre de l'Éducation nationale. Il a publié une quinzaine d'essais philosophiques dont Heidegger et les modernes, Qu'est-ce que l'homme ? ou La Sagesse des modernes. --Denis Gombert