Extrait :
Naissances
Camille, l'aînée, ouvre les yeux sur l'hiver. La campagne est gelée autour de Fère-en-Tardenois. Les arbres sont décharnés, les troupeaux rentrés à l'étable. Un vent glacial, méchant, qui donne des cauchemars aux enfants en âge d'entendre la voix du diable, souffle et mugit sur les toits en ardoise de la petite ville, chef-lieu du canton de l'Aisne. Rien ne peut tempérer ni apaiser ce vent quand il se déchaîne : ses colères puissantes sont aussi indissociables du pays tardenois que la terre grasse et le relief bombé. Les eaux de l'Ourcq vont bientôt geler. C'est le 8 décembre 1864, jour où les Catholiques célèbrent l'Immaculée Conception - la naissance sans péché de la Vierge.
Si catholique soit-elle, par tradition plus que par conviction, la naissance de cette fille contrarie la mère : pour son anniversaire, car elle fête ses vingt-quatre ans ce même jour, elle espérait un garçon. La jeune accouchée, au lieu de se réjouir, ne cache pas sa détresse. C'est une mère inconsolable et encore en deuil qui vient de mettre au monde la petite fille : il y a quinze mois à peine, elle a perdu un fils, son premier-né, Charles-Louis. Né le 1er août 1863, il est mort le 16, le lendemain du jour consacré à la Vierge, laquelle décidément ne répond pas à ses prières. Dès le premier instant, dès le premier cri, la mère boude sa fille. Elle déçoit ses espérances. La rancune lui restera.
Le père, lui, sourit à cet enfant robuste qui apporte la vie, l'élan, à son foyer après deux longues années de mariage. Il n'en veut pas au Ciel de s'être trompé de sexe en lui envoyant une fille. Il croit d'ailleurs assez peu au Ciel et en Dieu, encore moins en la Vierge. C'est un républicain farouche, tout content d'être père, enfin, à trente-huit ans.
Le bébé sera baptisé le 25 janvier, de ce prénom androgyne, Camille, où se reflète la nostalgie d'un garçon. Cérémonie toute familiale célébrée par son grand-oncle maternel, qui est curé.
Revue de presse :
LE PIC CLAUDEL domine la plaine littéraire. On en fait le tour avec circonspection. C'est qu'on y côtoie des abîmes. Les Claudel, frère et soeur, sont vertigineux. Ils échappent à la paisible marche du monde. Ils se mettent en travers, ils nous empêchent de danser en rond. Ils refusent de nous entendre, et vont en solitaire, pour leur gloire ou pour leur perdition, là où il leur plaît d'aller. Ce sont des sauvages, et c'est la vie de ces sauvages que nous raconte, dans Camille et Paul, Dominique Bona, plus en historienne qu'en biographe. Elle a raison, car on ne saurait faire le portrait de Camille et de Paul sans les trahir...
On y rencontre des personnages, mais plus encore des caractères, et des caractères impossibles, pour ne pas dire exécrables. Les Claudel, ce sont les Atrides en Tardenois. On se chamaille à longueur de journée. Camille règne, la plus violente, la plus forte, la plus libre, qui fascinera le père et le frère, et scandalisera l'autre soeur et la mère qui ne lui pardonneront jamais d'être ce mouton noir qui défait l'ordre bourgeois à quoi elles tiennent par-dessus tout...
Tout est dit, et voilà bien où le bât blesse. Claudel est plus fort que nous ! (Pierre Marcabru - Le Figaro du 21 septembre 2006)
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