Extrait :
«C'est arrivé un matin, à mi-chemin entre Pékin et Lhassa. D'un seul coup, l'air est devenu extrêmement limpide et j'ai vu surgir à l'horizon une gigantesque pyramide de neige.
«Je faisais route vers le Fleuve Jaune, dans la seule compagnie de mon muletier. C'était l'an dernier, le 26 mai très exactement, aux confins du Tibet. La veille, il y avait eu une énorme tempête de pluie mêlée de neige ; j'y avais perdu deux bêtes. J'avais établi mon camp au bord d'un torrent, juste au-dessous du col de Chüri-La, dans une plaine sablonneuse qui s'appelait Luanchan. Je venais de me réveiller.
«Le pic qui se dressait devant moi semblait distant d'une cinquantaine de kilomètres. Mais j'ai tout de suite pensé que cette proximité n'était qu'un effet de la transparence de l'air ; et je me suis fait la réflexion que la montagne se situait bien plus loin - cent, cent vingt kilomètres au bas mot. Comme je fais toujours, j'ai sorti mon carnet de bord pour y noter mes observations, et j'ai tenté d'estimer son altitude. Je campais moi-même à environ 4 500 mètres. Je l'ai donc jaugée à plus de 8 800. En tout cas, elle dépassait l'Everest d'au moins cinquante mètres. Peut-être même du double. J'étais tombé sur la plus haute montagne du monde !
«J'ai eu une chance folle : il aurait suffi que je traverse la plaine de Luanchan par temps bouché - la veille, par exemple, quand j'ai été pris dans la tempête -, ou simplement si le ciel était resté voilé, comme il arrive souvent là-haut, et je n'aurais rien soupçonné de ce pic magnifique. Car il ne figure sur aucune carte ! À mon retour de Lhassa, dès que j'ai été remis de ma thrombose au mollet, je me suis précipité à la Bibliothèque des Armées, à Calcutta, pour m'assurer que la montagne était restée inconnue des géographes. Et au Service des Cartes, comme prévu, sur tous les relevés que j'ai pu dénicher, entre la Chine, la Mongolie, le Tibet et le Setchwan, rien ! Un océan de blanc ! Seuls deux ou trois atlas mentionnent l'existence d'un énorme massif, au sud du lac Kokonor. Des noms très incertains : Amnia Macher, Maqu, Machu, Amnié Machin, Anye Maqen - tout, et n'importe quoi !
«Et aucun moyen de vérifier que la montagne que j'ai vue se dresser au bout de l'horizon au matin du 26 mai dernier est bien le pic le plus haut de la planète. D'après le superviseur du Service des Cartes, aucun Occidental ne s'est jamais risqué par là.
Présentation de l'éditeur :
Fin 1923, sur la foi du récit d'un espion britannique et de vieux textes chinois, un Américain, Joseph Rock, se lance à la recherche d'une montagne plus haute que l'Everest. Il espère y dénicher, au passage, une étrange tribu matriarcale : le Royaume des Femmes. Entre Chine et Tibet, assure-t-il, vivraient les ultimes descendantes des Amazones... Depuis sa Vienne natale, ce jeune séducteur a déjà bien roulé sa bosse. Autodidacte surdoué et fieffé filou, il s'est introduit à Harvard grâce à un faux diplôme de botaniste et ambitionne de devenir le journaliste vedette du National Géographique. Avec le même brio, il convainc patrons de presse et savants austères de financer sa folle expédition... Après une longue enquête, Irène Frain ressuscite ici le parcours de Joseph Rock, cet explorateur génial, ce personnage attachant et cocasse, qui finit par mettre au jour une culture immémoriale, et même une écriture inconnue.
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