Extrait :
Extrait de la préface :
Une nuit rêveusement claire à Paris, passage des Taillandiers (retiens ce nom, Lecteur, car il ne manque pas de saveur), un homme et une femme sortent, fort tard et fort éméchés, d'un de ces bars de la Bastille où l'on mange, boit et danse jusqu'à l'aube. Le flirt se précise, les choses se précipitent, l'homme baisse son pantalon. Mais si l'on croit qu'alors, en des préliminaires bien menés (ouverture enfiévrée du corsage, lent relevé de la jupe, caresses en différents points stratégiques), il conduira notre flirteuse où son désir la pousse, on se trompe sur la couleur de la nuit. Car ce diable attrape aux cheveux la pauvrette, l'agenouillé, et exige, sans un mot mais avec un geste éloquent, l'acte que, dans cette position incommode, tu devines et dont tu frémis.
L'imprudente devina, et l'on pourrait penser qu'elle n'y put rien. Qu'ainsi tenue, la malheureuse, impuissante à se dégager et quasi étouffant, dut subir des assauts que sa bouche eût espérés autrement tendres. Mais non, car elle mordit. De toutes ses forces, et au sang ! L'homme desserre alors l'étreinte et déchire l'air parisien d'un long ululement pathétique, tandis que le gland, tranché net, roule dans le caniveau loin du corps du coupable. Dénouement gore d'une amourette printanière, il roulerait encore si des pompiers charitables, appelés à la rescousse, ne l'avaient repêché pour le confier à des mains expertes, et pour tout dire couturières.
On me raconta cette histoire au café d'en face, le lendemain matin, alors que je m'apprêtais à croquer le bout de mon croissant trempé dans un café-noisette. Je crus qu'on voulait me couper l'appétit. Mais non : le croissant était croquant à souhait. Tout est parti de là. De ce fait divers authentique survenu à quelques mètres de chez moi - j'étais alors parisienne. De cette scène traumatique et scabreuse qui provoqua, quand on me la raconta, et quand plus tard j'en vérifiai la véracité dans les journaux, stupeur, hilarité, fascination, jubilation, incompréhension, tout mêlé.
L'écriture naît toujours, chez moi, de ce qui paraît le plus éloigné de mon moi. Je fréquente peu les bonobos, et, allez savoir pourquoi, aussi peu les violeurs. Ainsi forcée, trouverais-je assez de détermination pour... couper court ? Ma conception joyeuse de la sexualité s'en offusquerait. Et je me sens très loin de cette fameuse guerre des sexes qui opposerait aujourd'hui les femmes aux hommes. Mordre, vraiment... Trancher ? Impossible. Impensable. Infaisable.
Pourtant le temps n'est plus où les femmes se laissaient clouer le bec. Qu'on tente de leur encombrer la bouche, elles trancheront désormais le problème...
J'ai d'abord composé la trame d'un roman, disons, classique. Mais la violence du sujet devait être traduite, métaphorisée par un tour littéraire. Le pastiche s'est imposé car il inverse le rapport de forces : la violence y devient l'apanage de la narratrice. Joies de la dialectique et attentat à l'ordre phallique... Un temps privée de l'usage de la parole, la dominée du fait divers s'approprie par ma plume le verbe de l'autre - et par là même son pouvoir.
L'inconnue des Taillandiers est une allégorie : celle du désir de la femme si souvent puni, sali, mais qui refuse toute fatalité de l'oppression. On dérobe à la femme la parole, elle dérobe momentanément le sexe. Moi, je dérobe à mes auteurs leur style, le temps d'un récit. Rien à voir avec un «exercice littéraire». C'est un livre politique (j'y tiens), et donc féministe (j'y crois). Un féminisme à ma mode, libertaire : un titre moqueur s'impose donc. Je le chipe à ce macho de Dalf, qui définissait ainsi le cannibalisme : «le degré suprême de la tendresse».
Revue de presse :
Après un premier opus talentueux et remarqué, «Rhésus», on attendait le second roman de Héléna Marienské chez POL. Elle publie, contre toute attente, un recueil de pastiches chez Héloïse d'Ormesson. Agrégée de lettres, l'auteur a subi, pour l'occasion, huit désincarnations, se transformant tour à tour en Houellebecq, Tallemant des Réaux, Céline, La Fontaine, Angot, Montaigne, Ravalec et Perec (cet ultime pastiche consistant à réitérer l'exercice de «la Disparition», roman acrobatique auquel manquait la voyelle e). C'est sexy en diable, surprenant, jubilatoire. (Didier Jacob - Le Nouvel Observateur du 10 janvier 2008 )
Au fil de pages habilement troussées, l'histoire littéraire tient son rang. Clin d'oeil au libertinage, lettre canaille de Céline à Roger Nimier, et feu d'artifice oulipien à la manière de Georges Perec dans un feuilleton final où l'on cherchera, en vain, la lettre «e». L'étourdissante Flora, qui en est la muse, sort victorieuse d'un récit dont elle garde, à l'instar d'Héléna Marienské, la maîtrise. Sur le mot «zythum», le dernier du dictionnaire (à trois zzz près...), s'achève cette performance littéraire joyeusement vorace. (Valérie Marin La Meslée - Le Point du 17 janvier 2008 )
Cette femme-là écrit avec les dents. C'est un compliment : elle arrache les convenances littéraires avec gourmandise, portée par une énergie volcanique à laquelle aucune page ne résiste...
Après l'inoffensif Et si c'était niais ?, de Pascal Fioretto, paru l'automne dernier chez Chiflet, cette nouvelle livraison de pastiches est nettement plus recommandée, bien que peu recommandable...
...elle transgresse, s'amuse comme une folle, façon khâgneuse sous acide, indomptable et carnassière. (Erwan Desplanques - Télérama du 13 février 2008 )
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