Le Tour du doigt - Couverture souple

Anglade, Jean

Couverture souple

ISBN 10 : 2258115981 ISBN 13 : 9782258115989

Editeur : Presses de la Cit�, 2015

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Biographie de l'auteur :

" Je suis n� par hasard � Thiers au pays des couteaux mais j'ai re�u mon �me de partout. "

Fils d'une servante et d'un ouvrier ma�on – il n'a pass� que " douze jours de bonheur ", le temps d'une permission, avec son p�re, tomb� sur le front de la Somme en septembre 1916, et ne conserve de lui qu'un paletot bleu que sa m�re lui taille dans l'uniforme du chasseur alpin – Jean Anglade na�t en 1915 � Escoutoux dans le Puy-de-D�me, pr�s de Thiers. Son oncle juge qu'il est fait pour �tudier et l'inscrit au cours �l�mentaire, le coll�ge des pauvres. Excellent �l�ve, il re�oit une bourse. Il ira � l'Ecole normale d'instituteurs de Clermont-Ferrand.
Il �pouse une institutrice ; le jeune m�nage obtient un double poste dans le pays de Combrailles, en 1935. Ce plateau de granit � la limite de l'Allier, du Puy-de- D�me et de la Creuse, d�coup� en gorges �troites, est un paysage qui l'enchante. 1936, il part deux ans dans le Sud-Ouest pour faire son service militaire � la base a�rienne d'Aulnat, o� il croise Saint-Exup�ry. La r�gion accueille de nombreux Espagnols qui s'exilent, fuyant la guerre civile. L'autodidacte qu'il est dans l'�me poursuit ses �tudes jusqu'� l'agr�gation d'italien. Il enseignera durant la plus grande partie de sa vie au lyc�e Blaise-
Pascal de Clermont-Ferrand. Il a trente-huit ans, en 1952, quand para�t son premier roman, Le Chien du Seigneur, l'histoire d'un pr�tre-ouvrier qui exerce son minist�re dans une usine de caoutchouc. Un sujet d�licat pour l'�poque. Le roman fait grand bruit. Henri Pourrat le complimente : " Je vous ai lu d'un trait... Vous �tes un romancier. " Ce roman le fera entrer, dit-il, " dans la r�publique des lettres ". D�s lors, il publie un ou deux livres par an. Il �crit pendant ce qu'il nomme sa p�riode bleue – en hommage � Picasso alors qu'il n'est encore que Pablo – des romans n�s de sa fascination pour l'Italie, l'Allemagne ou encore l'Irlande :
Les Mauvais Pauvres, Les Convoit�s, La Combinazione, L'Immeuble Taub, Le Point de suspension... La Foi et la Montagne, dont l'action se situe aux Philippines, re�oit le prix des Libraires en 1962.
A l'�poque, Jean Anglade dit se sentir �tranger � sa r�gion. Mais � la mort d'Henri Pourrat en 1959, on le presse de succ�der au grand �crivain auvergnat. Apr�s beaucoup d'h�sitations, Jean Anglade se lance et, s'inspirant de la vie de sa tante Mathilde, il raconte " une histoire simple �crite en vingt-huit jours " : Une pomme oubli�e. C'est le succ�s. L'adaptation t�l�vis�e du r�alisateur
Jean-Paul Carr�re, sur un sc�nario sign� Jean Cosmos, re�oit le prix du Festival de Prague.

Jean Anglade va publier en soixante ans une centaine d'ouvrages. Et ce loin des feux de la capitale. Des romans bien s�r, dont la plupart ont �t� �dit�s aux Presses de la Cit�, mais aussi des biographies (Pascal l'insoumis...), des livres d'histoire (La Vie quotidienne des immigr�s en France, La Vie quotidienne contemporaine en Italie), des essais, des livres d'humour (il a re�u pour Le Point de suspension le prix de l'Humour noir), des recueils de po�sie, des pi�ces de th��tre, des traductions... Un album illustr�, Aux sources de mes jours, raconte son histoire. Il a �crit jusqu'� peu tous les matins, dans son antre, un ancien garage qui lui sert de bureau et de biblioth�que, sur sa machine � �crire. Et publie chaque ann�e un roman in�dit. L'ann�e de ses quatre-vingt dix-sept ans, il a particip� � un t�l�film, A l'�cole de ma vie, qui raconte ses jeunes ann�es, de sa naissance � sa premi�re ann�e d'instituteur. Un bel hommage � l'�cole de la R�publique dans lequel on le voit chanter, raconter et r�citer des po�mes en patois thiernois.
Le 18 mars 2015 Jean Anglade f�tait ses cent bougies.

Cent livres pour cent ans.
Et l'�ternit� pour la litt�rature.

Jean Anglade nous a quitt�s en novembre 2017.

Extrait :

Les canaques

Rouquette cligna de l'oeil, cracha sa chique et sortit de sa poche un couteau de nettoyeur. Il pr�tendait s'en �tre servi dix-huit mois. A cause de ses comp�tences particuli�res.
�Quelles comp�tences ? Puisque tu commandais une section !
- Oui. Mais fils et petit-fils de boucher ! L'h�r�dit�, les lois de Mendel, tu connais ?... Et aussi pour le plaisir.�
La lame �tait blanche, finement astiqu�e, avec une gorge longitudinale. Entre elle et le manche de pur sapin, � virole de fer, une large rondelle servait de garde. Dessous, dans la rainure, restait une cr�me brune, comme la crasse sous un ongle. Rouquette aurait pu la gratter avec une allumette, mais il la conservait pr�cieusement, �a c'est du beurre de Boche, pendant dix-huit mois je l'ai mang� en tartines sur mon biscuit. Il r�unissait devant sa bouche les cinq doigts d'une main, imitait le bruit d'un baiser, un baiser de gourmet :
�Extra !�
D'autres fois, il jouait � d'Artagnan, pointait son couteau vers le ciel, arrondissait le bras gauche sur sa t�te, faisait mine de nous embrocher. Il le remisait dans la poche int�rieure de sa veste, � la place normale du portefeuille. �Et ton portefeuille ?
- Sur mon coeur, en permanence sur mon coeur, avec les photos de famille.�
Et il posait la main sur la fesse droite. Rouquette avait toujours eu des fa�ons singuli�res, mais quel que f�t son cynisme, je suis certain que cet emplacement datait de la paix, photos de famille ou pas, chacun de nous avait au front grand soin de garder son portefeuille sur son coeur afin de le prot�ger. Les journaux racontaient des histoires mirobolantes de coeurs sauv�s par des portefeuilles ; dans les bazars tu trouvais aussi le prot�ge-coeur en acier � l'�preuve des balles ; tu te l'accrochais au cou sous la chemise, tel un scapulaire, retenu par une sangle. Les femmes, les fianc�es, les marraines, en envoyaient dans les colis. Certains affectaient eux-m�mes la forme d'un coeur, ou d'une main, ou d'une rose, ou d'un �cu. Moi, je n'en ai jamais port�, nul n'ayant pens� � me l'offrir, je trouvais ridicule de me l'offrir moi-m�me, sans doute que mon coeur de chair n'importait � personne.
Nous nous tenions donc r�unis dans l'all�e administrative - celle qui longeait le b�timent de la direction et de l'�conomat - et nous �tions ce qu'il y a de plus disparate. D'abord en taille et en �ge. Depuis Rouquette qui avait coiff� sainte Catherine, jusqu'� des bleus comme Armilhon encore en pleine croissance. Ensuite par le v�tement. Nous arrivions dans des costumes path�tiques �voquant des modes assassin�es : vestons d'alpaga � six boutons, pantalons exigus, amples costumes de coutil. Nous sentions le coing, le camphre, la naphtaline. Suspendues trois ou quatre ann�es dans les placards, ces d�froques en �taient rest�es � leurs dimensions originelles. Nous, cependant, avions pouss� en tous sens. Nos m�res avaient d� d�ployer des efforts surhumains pour nous faire tenir dedans, sortant les ourlets, tirant sur les manches, supprimant les pinces, descendant les culottes au plus bas, ce qui nous mettait le derri�re au niveau des genoux. Deux ou trois, qui avaient trop forci pour s'accommoder de ces ajustements, combinaient la tenue bourgeoise et la militaire, la casquette et le ceinturon, le pantalon et la vareuse d�s�cussonn�e.

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