La notion de prétexte est la grande force du Diable au corps : le ton froid et analytique du récit, même si sans aucun doute il correspond à merveille au caractère du héros adolescent, tient sans cesse le lecteur sur ses gardes. Calculateur jusque dans ses amours avec Marthe, une jeune femme de trois ans son aînée, mariée bourgeoisement et devenue sa maîtresse de manière un peu moins romanesque qu'il voudrait le croire, le jeune héros affiche cette morgue superbe qu'ont les enfants précoces. Supérieurement intelligent, doué pour les études, le jeune garçon nous fait le récit, d'un ton en apparence détaché, de l'ennui profond qu'il a éprouvé durant la Première Guerre mondiale et qui l'a conduit à se lancer corps et âme dans son aventure amoureuse. Car son amour pour Marthe s'amplifie, malgré son jeune âge et en dépit du scandale, au point de l'envahir entièrement. Indépendamment de toute morale, ce diable qui lui envahit le corps, source de tracas puis de souffrance, c'est l'élément étranger qui parvient à pénétrer en lui malgré l'assurance et la force manipulatrice d'un ego surdimensionné. En conduisant son héros de l'enfance à la paternité, Radiguet lui fait traverser l'expérience de toute une vie, faisant de la guerre une période entre parenthèses, une étape dans la maturation du corps et de l'esprit. --Sana Tang-Léopold Wauters
C’est la guerre. On est en 1917. Marthe a 18 ans. Elle est fiancée à Jacques. Jacques est au front. Alors François, jeune lycéen, s’éprend de Marthe, et Marthe tombe dans les bras de François. Ils deviennent amants. Au loin, parfois, résonne le canon.
Comme le dit le narrateur dans une provocation juvénile, la guerre, à l’arrière, pour les adolescents de l’époque, ce furent « quatre ans de grandes vacances ». On peut lire ce livre de 1923 en pensant au couple romantique et sulfureux formé par Gérard Philippe et Micheline Presle dans l’adaptation qu’en fit Claude Autant-Lara en 1947. On peut le lire également en ne croyant pas Radiguet (« Tout est faux ») et avoir en tête que l’auteur, adolescent, eut pour amante une certaine Alice, dont le mari était au feu. On peut encore y voir le signe que pour les femmes, de tous âges, qui saisirent l’occasion, cette guerre fut le moment d’une réelle mise en cause d’un certain modèle de conjugalité.
Comme se demandait Freud dans Psychologie de la vie amoureuse, pourquoi les hommes sont-ils si souvent excités par des femmes déjà « prises » ?
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