Extrait :
Vers la fin de ma deuxième année à Harlem, je fus réveillé en pleine nuit par une voix de femme qui hurlait dans ma tête. La panique de son cri me parvenait faiblement, comme en rêve. J'essayais de m'en extirper, mais le hurlement ne s'arrêtait pas. Lorsque je compris qu'il ne s'agissait pas d'un rêve, je m'assis dans mon lit, à l'écoute, un instant; puis je tentai de me rendormir.
Très souvent, des hurlements identiques m'étaient parvenus par une fenêtre ouverte. En fait, presque tous les week-ends, dans mon immeuble ou dans celui d'en face, un couple aviné passait des heures, la nuit, à s'envoyer des bordées d'injures. La femme mettait fin à la séance en flanquant son amant dehors, et lui, jurant qu'il en avait assez, partait toujours. Il se débrouillait pourtant pour être de retour la nuit suivante, et le week-end d'après, tous les deux, ivres, recommençaient.
En m'éveillant à nouveau, quelques instants plus tard, je me rendis compte que ce glapissement n'avait rien de familier. Je n'étais plus tout à fait sûr que c'était le couple d'en face.
Je tentai d'abord de l'ignorer. Rien à faire. Assommé quoique tout à fait éveillé, je me remis à écouter. Je n'avais aucune idée de l'endroit où on se battait.
C'est étrange comme le son rebondit sous mes fenêtres et entre dans mon appartement. La grande pièce donne sur la rue. Puis vient celle où je dors, au coeur de ce quatre pièces tout en longueur. La chambre ouvre sur une espèce d'arrière-cour séparant mon immeuble de celui d'à côté. Quand on entend les bruits de l'extérieur, on ne peut pas dire tout de suite s'ils viennent de la cour ou de la rue. Il a fallu que je me lève pour vérifier.
Présentation de l'éditeur :
Harlem. Le seul bout de terre qui appartienne totalement aux Noirs d'Amérique. Dans le bien et le mal. De plus en plus dans le mal. Cela n'empêche pas le narrateur de cette extraordinaire chronique de retourner y vivre. Et ce retour délibéré est le point de départ d'un voyage envoûtant dans le quotidien et dans l'histoire de ce quartier new-yorkais qui s'effrite physiquement et moralement : les appartements délabrés, les trottoirs sordides, les sacs-poubelles remplis de rats, les enfants livrés à eux-mêmes. Mais aussi un quartier magique qui reflète l'identité d'un peuple en mal de reconnaissance. En somme, plus qu'un quartier : une inoubliable mère-patrie.
Eddy L. Harris, né à Indianapolis, est diplômé de la Stanford University. Dès son premier livre, Mississippi Solo (1988), il est salué par la critique américaine. Il est également l'auteur de Jupiter et moi, paru en septembre 2005, très remarqué par la presse française. Aujourd'hui, Eddy L. Harris a quitté Harlem et élu domicile en France.
"Eddy L. Harris - en Marcel Proust noir -fait remonter ses souvenirs d'enfance comme des petites bulles et nous livre un Harlem plein de rumeurs, de bruits, de couleurs. "
Pénélope Rault, Jalouse
"Partant de cette quête de lui-même, l'écrivain arrive aux autres, à la vie."
Solenn de Royer, La Croix
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