Extrait :
Mon amie Mónica m'a souvent raconté cette anecdote, par laquelle j'ouvre ce livre d'histoires entrecroisées.
Au début des années quatre-vingt, alors qu'elle était encore au lycée, elle avait pour ami et camarade de classe un homosexuel qui n'était pas sorti du placard ni même encore passé à l'acte. Sa famille comme ses amis ignoraient tout de ses penchants, et il n'avait révélé son secret à Mónica qu'au terme de semaines entières de malentendus, après avoir ingurgité des litres d'alcool. Un soir, Aritz supplia son amie de l'accompagner dans les bars de Chueca, ces antres qu'il ne connaissait pas mais dont il se faisait une petite idée pour avoir lu dans une revue des allusions à la clientèle (il faut se rappeler qu'il n'y avait alors ni Internet, ni répondeurs, ni téléphones portables, et que le mot gay n'existait pas, encore moins le concept de gay pride), de sorte qu'ils échouèrent dans un bar branché où Mónica était la seule fille. Elle n'avait même pas dix-sept ans, et donc pas le droit de boire de l'alcool. Aritz engagea la conversation avec un très beau mec, et Mónica, livrée à elle-même et mal à l'aise, se cramponna au comptoir lorsqu'un jeune homme rondouillard, au nez en patate et aux cheveux frisés, l'aborda. Elle se dit qu'il devait être tout aussi seul qu'elle, car étant donné son physique ingrat, personne ne faisait attention à lui. Ils se mirent à parler ciné et musique, et le jeune homme finit par lui proposer de la raccompagner chez elle. Si elle n'avait pas l'âge de boire, elle avait assez d'expérience pour comprendre que la proposition ne dissimulait aucune arrière-pensée. Devant son immeuble, il lui dit qu'il avait écrit le scénario d'un long métrage et qu'il cherchait une jeune fille pour tenir le rôle d'une certaine Bom, avant de lui donner son numéro de téléphone, griffonné sur un bout de papier qu'elle jeta une fois rentrée chez elle. Le rôle de Bom fut finalement interprété par Alaska, alias Olvido ; le garçon était Pedro Almodovar.
L'histoire est-elle véridique ou non ? Peut-être Pedro Almodovar, s'il lit un jour ces lignes, soutiendra-t-il mordicus qu'il a écrit le rôle de Bom en pensant à Olvido et uniquement à Olvido, et qu'il ne lui serait jamais venu à l'idée de l'offrir à une autre femme. Mais ce qui est certain, c'est que la mémoire est capricieuse : n'ai-je pas nié avec une conviction aussi ferme qu'absolue avoir commis certains actes - un strip-tease sur un comptoir de bar, par exemple - dont je n'avais aucun souvenir, alors que d'innombrables témoignages assuraient que j'avais été là où je croyais n'avoir jamais été et avais fait ce que je ne me rappelais pas avoir fait ? Il semble que nous ne nous souvenions que de lieux où nous n'avons jamais mis les pieds, d'actes que nous n'avons pas commis et d'histoires d'amour que nous n'avons pas vécues, car notre interprétation a posteriori altère toujours le fait originel : la mémoire n'est qu'une façon de gérer l'oubli. Les chausse-trapes de la mémoire sont les ingrédients de tout récit, qui se nourrit davantage de ce que nous croyons nous rappeler que des faits eux-mêmes.
Si Mónica n'avait pas jeté le bout de papier avec le numéro de Pedro, serait-elle devenue une actrice célèbre ? Car sont finalement restées dans la mémoire collective Marisa Paredes, Victoria Abril, Carmen Maura ou Bibi Andersen, mais qui se souvient de Cristina Sánchez Pascual (actrice principale de Dans les ténèbres), de Concha Grégori (qui jouait dans Pepi, Luci, Bom et dans Labyrinthe des passions) ou d'Eva Siva (interprète de la Luci qui donnait son titre au film) ? Nous pourrions écrire une histoire alternative, dans laquelle Mônica dirait oui et aurait le rôle-titre. Et cette histoire pourrait bifurquer sur deux dénouements : une fin heureuse, où Mónica accède au rang de star internationale, et une autre, moins heureuse, où Mónica accepte le rôle mais, prisonnière des oripeaux et du vernis trompeur de la modernité, et dépourvue de la maturité suffisante pour affronter les aléas de la notoriété, finit héroïnomane, comme tant de jeunes des années quatre-vingt pour qui trop ne fut jamais assez.
Revue de presse :
Prenez un quartier populaire de Madrid, Lavapiés, et observez au télescope ce qu'il s'y trame, comment on y tombe amoureux, élève ses enfants, rompt ses fiançailles. Derrière ce labyrinthe de vies et de personnages, démêlant l'écheveau de leurs sentiments, il y a un auteur, Lucia Etxebarria. Depuis Amour, Prozac et autres curiosités, cette romancière à succès darde sa plume comme un fleuret, pour traiter avec impudeur et truculence de l'amour, du désamour et des éternels va-et-vient de la mélancolie...
À travers ces portraits, Etxebarria nous dresse un catalogue épicé de toutes ces pathologies qui poussent sur les trottoirs des villes comme du chiendent. Sans misérabilisme, mais avec du nerf et du rire. (Astrid Eliard - Le Figaro du 26 avril 2007 )
Lucia Etxebarria fait corps avec ses personnages. On sent qu'elle connaît bien son petit monde, l'écoute, s'en inspire, avec empathie. Et même amour... Il en est ainsi des écrivain(e)s de talent, ni tout à fait dedans ni tout à fait ailleurs...
Pour Lucia Etxebarria, les «autres sont un je»... C'est d'ailleurs l'accroche de ce roman d'actualité. Puisqu'il y est question d'immigration, d'intégration, de métissage... et des difficultés à vivre ensemble, avec nos différences...
«Cosmofobia» est un roman d'autofiction, en forme de recueil de nouvelles, qui décrit une farandole de personnages. Lesquels s'entrecroisent, comme dans la vie, comme dans certaines rues, certaines tranches de vie, certains chapitres... Celui sur la téléopératrice, fauchée et exploitée, est passionnant. Pour elle aussi, les histoires d'amour finissent mal... en général. Le truc de Lucia Etxebarria, c'est décidément l'amour. Son précédent livre («Ya no sufro por amor»), à paraître chez Héloïse d'Ormesson en 2008, s'est hissé en quatre jours sur la liste des meilleures ventes espagnoles (Guillaume Chérel - Le Point du 3 mai 2007 )
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