Revue de presse :
Chloe Hooper, après avoir fait ses études à l'université Columbia de New York, vit à Melbourne, où elle est née en 1973. Son premier roman, Un vrai crime pour livre d'enfant (en français, éd. Christian Bourgois 2002 et, en poche, Points) avait reçu un excellent accueil critique. Le deuxième, Grand Homme, est une entreprise beaucoup plus périlleuse. Elle y prend le risque de la comparaison avec le magistral De sang-froid, de Truman Capote. Car, après avoir suivi pour plusieurs journaux australiens l'affaire Doomadgee - la mort d'un aborigène dans un commissariat de police -, elle a décidé d'enquêter plus avant et de tenter de comprendre "tout ce que l'Australie blanche ne veut pas savoir sur l'Australie noire". (Josyane Savigneau - Le Monde du 11 septembre 2009)
Au nord-est de l'Australie, il est une île entourée d'eau cristalline, avec des montagnes couvertes de forêts, du sable blanc et fin, des chevaux sauvages, trois mille habitants et pas un coiffeur. On pourrait qualifier Palm Island de paradis tropical, mais, comme disait Rimbaud, il flotte «le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques». Les habitants, aborigènes, sont des âmes en peine plutôt musclées. Ils vont et viennent dans la fournaise où leurs ancêtres non massacrés au tournant du siècle passé furent déplacés, militairement évangélisés, comme dévitalisés. Ils sont violents, diabétiques, souvent sourds. Les Blancs ont «la loi dans la bouche», disent-ils. Le problème est qu'on est au pays où «la loi ne se rapprochait pas de la vérité, mais s'en éloignait»...
Journaliste, Chloe Hooper sait faire trois choses : enquêter, observer, relater. Romancière, elle compose et donne sa puissance à un monde en état d'enchantement par désespoir et d'apesanteur morale. Sa simplicité le prend et le suspend, comme un boeuf écorché, aux crochets des sensations et des lois. (Philippe Lançon - Libération du 17 septembre 2009)
Dans un livre-enquête minutieux, l'Australienne Chloe Hopper dresse le terrible constat de la condition des Aborigènes. Le lent déclin d'un peuple à force d'humiliations...
Le reportage de Chloe Hopper est triste, parce qu'il témoigne de la fin des chants. En 1850, jusqu'à cent langues aborigènes différentes étaient parlées dans le seul Queensland. Il en resterait moins de vingt à présent. Ces chants, qui pouvaient autrefois guérir les malades, ne sont plus opérants. Les rythmes du monde moderne les auront recouverts, sans offre d'échappatoire. Sauf à risquer l'emprunt des toutes dernières pistes où nous guide l'auteur. Celles de la politique de «réconciliation» initiée il y a dix ans dans le pays. En 2008, le premier ministre australien a présenté les excuses officielles du pays aux générations aborigènes pour les souffrances infligées par les déportations. Une voix d'aujourd'hui pour apaiser les plaies et redonner l'estime. (Stéphane Bataillon - La Croix du 4 novembre 2009)
Extrait :
Sur la péninsule du cap York, aux confins de l'Australie, il existe des esprits aux longs bras maigres et aux longues jambes maigres qui se déplacent la nuit, inaperçus, pour faire le mal. Le jour venu, ils retournent se glisser dans les falaises de grès de la région, habitant les crevasses. Sur les parois rocheuses, dans les ravines, les gorges et les grottes, s'étire leur corps peint à l'ocre rouge avec des yeux blancs qui voient tout.
Pour les dénicher j'ai pris l'avion puis la voiture jusqu'à la minuscule ville de Laura, à l'extrême nord du Queensland, j'ai suivi un guide le long d'étroites pistes de marche vieilles de plusieurs millénaires qui grimpent un escarpement abrupt. Une fois au sommet, le guide a lancé une retentissante salutation aux esprits. Sinon, m'a-t-il dit, ils viendraient nous prélever la graisse des reins.
Cela faisait des années que personne n'était venu à cet endroit. Des pluies récentes avaient fait reverdir les arbrisseaux, et les fougères poussant entre les rochers formaient des jardins suspendus. Il s'agissait d'un camp pour la saison humide, réseau de gros rochers et de grottes aux murs et aux plafonds recouverts de peintures superposées, vieilles de peut-être quinze mille ans : kangourous, crocodiles, émeus, dingos, ignames et leurs racines torses, armes, ruches avec essaims d'abeilles, étoiles - toutes les choses du cosmos dessinées là pour pouvoir se multiplier et laisser les richesses de la terre se propager.
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