Extrait :
Nuit après nuit, Kraus rêvait d'une femme qui avait une jambe normale et une jambe de bébé. Dans le rêve, elle se déplaçait bruyamment sur son genou adulte et sa jambe de bébé, en brandissant une hache, vacillante. Il ne cessait de la regarder avancer, avec une embardée à chaque pas. D'abord, il l'entendait, le son mat du genou et le claquement sourd du pied de bébé, puis il la voyait passer, lente, bancale, et le bruit s'effaçait lentement. Il ne pouvait pas bouger, pas même les yeux. Il n'avait d'autre choix que de rester étendu là, à écouter sa propre respiration, jusqu'à l'entendre revenir. Elle ne cessait d'aller et venir, jusqu'à ce que, finalement, secoué, il parvienne à se réveiller.
Ses yeux, au fil de ces journées, devinrent de plus en plus creux, comme s'il ne dormait plus. Il s'examina dans le miroir, scruta la cicatrice agressive au centre de son front qui, lorsqu'il était arrivé, était une entaille sanglante. Il se frotta les orbites, se demandant s'il ne vaudrait pas mieux ne pas dormir du tout.
Il ouvrit le robinet avec la main qui lui restait, puis plongea son moignon dans l'eau et s'en frotta le visage. Puis il but un verre d'eau et se recoucha.
La plupart des nuits, il reposait sans bouger ; il fixait le plafond, somnolant par intermittence, attendant l'arrivée de l'aube. Lorsque le ciel pâlissait, il sortait péniblement de son lit et s'asseyait près de la fenêtre, scrutait les bois jusqu'à ce que le jour soit tout à fait levé.
Les pires nuits, cependant, après une heure ou deux, il se rendormait et elle était de nouveau là, avec son boitillement, son vacillement, hache en main.
Le matin, il froissait des morceaux de journaux et les éparpillait d'une main dans l'âtre, les couvrait de petit bois et de bûches. Une fois le feu parti, il s'installait dans le fauteuil bergère et regardait les flammes.
La journée, il attendait patiemment qu'ils le retrouvent et le tuent. Il était sûr que ce n'était qu'une question de temps avant qu'ils le retrouvent, même s'il n'avait qu'une vague notion de leur identité : une silhouette sombre en manteau clair, ou peut-être une silhouette claire en manteau sombre, ou peut-être, d'une façon ou d'une autre, les deux ensemble. Sa mémoire semblait l'avoir pratiquement quitté, si tant est qu'il eût jamais eu de mémoire. Il se rappelait une expédition à travers bois, sa main manquante qui le faisait souffrir, son moignon enveloppé dans une vieille chemise, une entaille ouverte sur son front. Avant cela, il ne savait pas trop ce qu'il se rappelait. Le rêve de la femme avec une jambe de bébé pouvait être un souvenir, mais peut-être n'était-ce qu'un rêve. La cabane était peut-être sa cabane, ou peut-être une simple cabane trouvée par hasard. Ou peut-être appartenait-elle à une troisième catégorie, indéfinie : il n'aurait su le dire.
Présentation de l'éditeur :
Kraus, un homme mystérieux amputé d’une main, se réveille, un matin, amnésique, dans une cabane isolée au milieu de la forêt. Il est amnésique, et n’a donc aucun souvenir de la manière dont il est arrivé là, ni de qui il est vraiment, ni pourquoi il lui manque une main. Seule et unique certitude, celle d’une obsession : il est hanté par la vision d’une femme avec une hache, dotée d’une jambe normale et d’une jambe de bébé. Quand, à court de vivres, il est forcé de rejoindre le village le plus proche, il découvre le portrait d’un individu recherché qui lui ressemble étrangement. Les hommes qui le poursuivent sont à la solde d’un certain docteur Varner. tout ceci n’est que le début du long cauchemar auquel semble désormais réduite sa vie…
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