Extrait :
Clément,
J'ai décidé de t'écrire, plutôt que rien.
Plutôt que rester là, comme ça, dans le silence.
Que je te dise : je me suis honnêtement, sérieusement essayée au silence, je l'ai endossé comme on se glisse dans un vêtement, je m'y suis livrée comme on accepte une astreinte. Je l'ai fait d'abord pour moi, ne t'y trompe pas, c'était un choix égoïste, même s'il m'a coûté. En fait, j'ai pensé que cela me sauverait. Mais le rien-dire ne sauve pas, enfin disons que, moi, il ne m'a pas sauvée. Je crois même qu'il m'a enfoncée un peu plus dans la tristesse, le chagrin. Pour être tout à fait honnête, il m'a dévastée parce qu'il est peuplé d'images, le silence, de souvenirs impossibles à chasser, telles ces mouches importunes qui tournent autour du visage, qu'on tente d'éloigner avec de grands mouvements des bras, et qui toujours reviennent. Et puis, dans le silence, on est sans défense : les assauts n'en sont que plus blessants.
Alors maintenant, j'essaie les mots, ça ne pourra pas être pire. Qui sait si, en parlant, je ne vais pas me délester de la douleur entassée ? Un peu.
Pourquoi t'écrire à toi, me diras-tu ? Mais parce que des paroles sans destinataire ne sont pas vraiment des paroles. Sans écho, elles se perdent. C'est comme si elles n'avaient jamais existé. C'est écrire au vent, au désert, à l'abîme. Si personne ne m'écoute, autant continuer à me taire. Quelqu'un doit m'écouter. Et qui mieux que toi ?
Oui, qui mieux que toi ?
Je vais t'appeler par ton prénom.
Clément.
Je ne peux plus dire : «mon amour», ou des choses approchantes, toutes ces expressions niaises qu'on emploie sans en percevoir le ridicule et qu'on répète à l'envi au point de leur ôter leur signification. Tu serais embarrassé si je disais : «mon amour», de toute façon. Tu prétendrais que je ne suis pas guérie.
Un aveu : je ne suis pas guérie. Mais les malades doivent avoir l'élégance de ne pas indisposer les bien-portants, on leur sait gré de dissimuler leur mal.
Revue de presse :
Histoire classique, en effet, que cette rupture amoureuse...
Et pourtant. Encore une fois, la magie bessonienne fait mouche. Comme son héroïne, l'auteur des Jours fragiles et d'Un instant d'abandon cisèle le détail, ausculte les passions, trouve les mots justes...
Fascinant Besson. Capable d'empathie absolue, d'investissement total dans le «je» féminin. A croire que l'homme quitté connaît les mêmes affres que la femme.. (Marianne Payot - L'Express du 4 janvier 2007 )
Mais Louise, la narratrice, ne se résout pas aux adieux, contrairement à ce que laisse entendre le titre de ce roman. Cela donne une longue série de lettres - près de deux cents pages au total - écrites par une femme qui souffre d'avoir été quittée, dit son incompréhension, puis, au fil des pages, l'amertume et la fausse légèreté. À aucun moment ses sentiments ne sont explicitement exprimés : ils n'en ont que plus de force et, de façon étonnante, plus de profondeur. Louise ne s'apitoie pas sur son sort, l'impression qui domine est même un certain détachement vis-à-vis de sa propre douleur. La prouesse de Philippe Besson est d'arriver à bâtir à partir d'un fait banal - une femme est quittée par son amant qui préfère rester avec son épouse - un récit remarquable et simple à la fois. Le romancier est décidément passé maître dans l'art de décrypter les sentiments, il porte un regard d'une rare acuité sur les rapports humains. Ici, c'est le désamour vécu et vu de l'intérieur. Et cette fois, il se met à la place d'une femme. Ainsi l'auteur réussit-il, dès les premières lignes, à dresser un décor, à créer une ambiance, et à donner vie à deux personnages dotés d'une véritable force psychologique. (Mohammed Aïssaoui - Le Figaro du 1er février 2007 )
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