Extrait :
Les personnages font l'histoire
Et si je me berçais d'illusions en me prenant pour une artiste, une créatrice ? Où est la création artistique alors que j'ai de l'écriture un abord tellement méthodique, tellement cérébral ?
Journal d'un roman 25 juin 1997
Mon bureau est recouvert d'une grande plaque de plexiglas sous laquelle je glisse des bouts de papier qui sont pour moi une source d'inspiration ou de réconfort dans les moments de désespoir absolu où je me demande pourquoi je me suis lancée dans tel ou tel projet ardu. Parmi ces bouts de papier, il y a une photocopie d'une lettre de John Steinbeck à Herbert Sturz sur Les Raisins de la colère - ses commentaires sur la critique ont le don de me faire sourire -, une photo de mon chien, une de moi avec un sourire idiot à côté d'une effigie en cire de Richard III prise au musée de Madame Tussaud, à Londres, et plusieurs citations d'écrivains sur divers sujets. L'un de ces écrivains est Isaac Bashevis Singer, qui, lors d'un entretien avec Richard Burgis, en 1978, disait :
Quand les gens se rencontrent - à une soirée ou une occasion de ce genre -, on les entend toujours parler de caractère. Ils disent «untel a mauvais caractère» ou «c'est une bonne pâte», celui-là est un imbécile, celui-ci une chiffe molle. Les potins constituent l'essentiel de la conversation. On dirait que l'analyse de caractère est la distraction préférée de l'espèce humaine. La littérature ne fait pas autre chose. La seule différence avec les potins, c'est qu'elle le fait sans mentionner les vrais noms des personnages. Les auteurs dont le sujet principal n'est plus les personnages et leur caractère mais des problèmes - sociaux ou autres - privent la littérature de son essence même. Ils cessent d'être distrayants. Les gens et leur caractère sont un de nos sujets de conversation préférés. C'est parce qu'il n'y a pas deux individus semblables, et que le caractère humain est la plus grande des énigmes.
C'est donc par là que je commencerai l'exploration de notre métier : par les personnages.
Pas par les idées ? vous demandez-vous peut-être avec stupeur. Pas par des questions comme : D'où un auteur tire-t-il ses idées ? Qu'en fait-il quand il les a trouvées ? Comment les met-il en forme ?
Nous y viendrons. Mais si vous ne comprenez pas qu'un roman n'est pas fait que d'idées, qu'il s'agit avant tout de personnages, vous ne pourrez pas insuffler de la vie même dans la plus fulgurante, la plus inspirée des histoires.
Le souvenir qu'on retire de la lecture d'un bon roman tourne principalement autour des personnages. C'est que les événements - dans la vie réelle comme dans la fiction - prennent plus de sens à partir du moment où on en connaît les protagonistes. Mettez des visages sur une catastrophe et vous toucherez plus profondément les gens ; il se peut même que vous les poussiez à entreprendre des actes qu'ils n'auraient que vaguement envisagés sans cela. Munich en 1972, l'Achille Lauro, le vol 103 de la Pan Am, Oklahoma City, le 11 Septembre... Quand ces tragédies deviennent humaines par le truchement de ceux qui les ont vraiment vécues, ou qui sont morts dans la catastrophe, elles se gravent de façon indélébile dans la conscience collective. Un événement commence par une information, et puis on se demande presque aussitôt : Qui ?
Présentation de l'éditeur :
Elizabeth George nous livre ici ses astuces d'écriture, son emploi du temps quotidien, ses recettes pour créer des personnages, ses trucs pour repérer des décors et les retranscrire en leur donnant une âme. Elle raconte avec franchise son histoire personnelle, révèle comment elle a réussi à se faire publier pour la première fois, tout en livrant les secrets de fabrication qui ont fait d'elle l'un des plus grands auteurs de romans policiers «à l'anglaise». Illustré de nombreux extraits de ses propres romans, mais aussi de ceux d'une vingtaine d'auteurs de tous les genres littéraires (Dickens, P. D. James, Shakespeare, Edgar Allan Poe, etc.), Mes secrets d'écrivain est destiné à devenir un ouvrage de référence pour tous les écrivains en devenir, toutes les plumes à naître.
«(...) c'est une véritable incursion dans l'univers intime de la création littéraire dans laquelle on plonge comme dans une étude ethnographique subtile.»
Sud Ouest
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