Extrait :
Le Pont-Neuf
GABRIEL aurait voulu dormir encore, mais, en bas, dans sa cuisine au ras de l'eau, la mère Catoche n'avait pas attendu le point du jour pour se lever. Le garçon se retourna sur son grabat, écoutant la vie qui reprenait aux deux étages de la masure. Il reconnaissait les voix, les appels de l'un, les protestations de l'autre, le ronchonnement habituel de Matoufle. Et puis il y eut un rire en cascade, des bribes de chanson lancées sur un ton joyeux. C'était Amapola qui s'éveillait. La mauvaise humeur de Matoufle en fut augmentée. «Comme tous les matins», se dit Gabriel.
Il occupait un réduit sous les toits dont le seul avantage était qu'il ne le partageait avec personne, si ce n'était avec les rats. Une fois tiré de son sommeil, il l'abandonnait sans regrets.
- Alors, Matoufle, la vie est belle aujourd'hui ?
- Y a longtemps qu'elle a fini d'être belle, la vie !
Le vieux chiffonnier descendait l'escalier aux marches branlantes, un crochet dans la main droite, un sac sur l'épaule, grognant à chaque pas.
- Maudite jambe ! Va falloir la tirer jusqu'à ce soir !
A une fenêtre du premier étage, une jeune fille chantonnait en contemplant la Seine et en peignant sa longue chevelure brune.
- Bonjour, Amapola ! lança Gabriel. Elle lui jeta un regard qu'elle accompagna d'un sourire, tout en continuant de chanter.
A l'entrée de la cuisine, les difficultés allaient commencer. La logeuse fourgonnait dans la cheminée, un tas de menu bois à côté d'elle pour ranimer le feu. Lorsqu'elle se redressa, elle soutint ses reins qui la faisaient souffrir comme, disait-elle, ce n'était pas possible de souffrir, rajusta d'une main impatiente son maigre chignon défait et, grognonne par profession, apostropha Gabriel.
- Ah ! te voilà, toi ! Je parie que tu vas me demander une jatte de lait !
- Tout juste !
- Et pourquoi pas aussi un quignon de pain ?
- Et pourquoi pas ?
- Et avec quoi que tu vas me payer ? Gabriel prit un escabeau et s'attabla sans la moindre hésitation, clouant son regard aux allées et venues de la grosse Catoche.
Présentation de l'éditeur :
Chaque matin, Gabriel quitte le misérable réduit qu'il occupe sur les bords de la Seine et retrouve l'effervescence du Pont-Neuf. Là, parmi les bonimenteurs et les vendeuses de fleurs, il improvise quelques scènes de commedia dell'arte pour gagner de quoi se nourrir. À l'écart, Molière l'observe... et décide de l'engager dans sa compagnie du Palais-Royal. Le garçon n'en croit pas ses yeux : le voilà entraîné par l'illustre dramaturge dans un monde magique. Désormais, tout semble possible au jeune garçon, même son rêve le plus fou : accompagner Molière devant le Roi-Soleil...
Jean-Côme Noguès est né à Castelnaudary, dans l'Aude, en 1934. Il est devenu enseignant par vocation. Pourtant, il y eut au début de sa carrière une parenthèse au cours de laquelle il se tourna vers le théâtre. L'histoire du héros, Gabriel, bien entendu n'est pas la sienne. Même si elle a fait resurgir des souvenirs du temps où, jeune comédien, il portait les hallebardes sur la scène de l'Odéon-Théâtre de France. Ensuite, il se décida à partir en tournée en province et à l'étranger. Son dernier rôle fut Octave dans Les Fourberies de Scapin. C'était avant que l'écriture entre dans sa vie. Depuis, il a publié de nombreux romans, des nouvelles et des contes. Le roman historique demeure son domaine préféré. Deux générations ont lu Le Faucon déniché, dont le succès depuis 1972 ne s'est pas démenti.
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