Extrait :
Extrait du prologue
Août 2002, Briec-de-l'Odet, Cornouaille...
Autrefois, le bedeau savait mesurer du glas, du sombre glas, cette lente, lente mélopée des coups sur le tambour de l'âme, en prélude à la montée au ciel des paroissiens estimables. Mais il savait aussi glisser dans le tempo, aux funérailles de mécréants revendiqués en transit sous la cloche juste à cause du qu'en-dira-t-on, un joli brin d'alacrité, histoire de leur savonner le toboggan des enfers. Ah ! ah ! c'est que du temps des bedeaux, ça ne rigolait pas ! Le tribunal de la foi ne laissait pas aux chrétiens de la vingt-cinquième heure le temps de refroidir : sitôt les paupières closes, les bougres étaient aiguillés vers les rôtissoires éternelles, sans possibilité d'appel au Jugement final. A l'humeur du glas, on distinguait tout de suite les élus des damnés.
À présent, les cloches étaient électriques et rendaient un son uniforme. Il n'y avait plus de bedeau, il n'y avait même plus assez de curés. Le dernier en activité, bien qu'il eût dépassé l'âge de la retraite, se partageait entre quatre paroisses, et le lundi n'était pas son jour de service à Briec-de-l'Odet. Alors, hélas, trois fois hélas, au lieu d'une belle messe d'enterrement le mort n'aurait droit qu'à une simple cérémonie d'adieux, préparée et réglée par deux diaconesses, oh ! des dames de bonne volonté, de cela personne ne se serait permis de douter, mais deux voix grêles, si sincères soient-elles, ne remplaceront jamais l'accent campagnard et le timbre grave, onctueusement oxydé par des décennies d'aspersion d'eau bénite, d'un vieux recteur qui n'a pas besoin d'ouvrir son livre sur le lutrin pour réciter ses paroles d'Évangile.
- Les choses ont changé, ça ne sert à rien de se lamenter, déclara Jeannette, la soeur jumelle du mort.
Pour Fanch Goasdoué, ar Mestr, le patron de la ferme de Roz-Kelenn, l'heure était venue de rejoindre sa dernière demeure, comme aurait dit le curé. Quatre-vingt-huit ans s'étaient écoulés depuis la naissance des jumeaux en 1914. On racontait que ce jour-là une grosse saucisse volante était passée en rase-mottes au-dessus de la campagne - sûrement un dirigeable d'observation, préciseraient plus tard, fiers de leur expérience, les soldats en permission. Les bêtes avaient galopé se cacher sous les arbres et les gens sous leurs lits dans les maisons. À présent, il y avait plus de traînées d'avions à réaction dans le ciel que de giclées de fientes de corneilles sur le faîtage des hangars.
Biographie de l'auteur :
Hervé Jaouen, après des études de droit et d'économie, fait carrière dans le monde de la banque, qu'il abandonne peu à peu au profit de l'écriture. En 1979, La Mariée rouge, son premier roman noir, lui vaut d'être immédiatement reconnu comme un maître du genre. Il élargit ensuite sa palette aux récits de voyages, réunis récemment sous le titre Carnets irlandais (Éditions Ouest France, 2015) et à la littérature jeunesse avec, notamment, Mamie Mémoire (2000), traduit en une dizaine de langues, et Quelle vie de chien ! (2017).
Il est l'auteur de nombreux romans ayant pour cadre l'Irlande comme L'Adieu au Connemara (2003) et Le Testament des McGovern (2006). Sa terre de prédilection reste surtout la Bretagne comme dans Eux autres, de Goarem Treuz (2014), L'Allumeuse d'étoiles (2016) et Le Vicomte aux pieds nus (2017), tous publiés aux Presses de la Cité. Son dernier livre, Sainte Zélie de la Palud paraît en 2018 chez le même éditeur.
Hervé Jaouen a reçu de nombreux prix littéraires ; cinq de ses romans ont été adaptés à la télévision et deux téléfilms ont été tournés à partir de scénarios originaux qu'il a écrits.
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