Extrait :
C'est ce jour-là que j'ai commencé à l'attendre. Le moment où ma vie a pris la forme, impalpable et fuyante, de l'attente, remonte à ce rendez-vous à Nantes, dans le parking souterrain de la Cité des congrès. L'endroit m'est devenu familier : les amants clandestins acquièrent vite la science des lieux cachés. La géographie de la ville qui vous berce depuis si longtemps change le jour où commence une liaison. Elle se dessine alors en repaires, en caches, c'est la forme d'une ville de Julien Gracq revisitée pour fugitifs, réfugiés de l'amour et d'autres errances logés à la même enseigne. On y voit alors ce que ne voient pas les autres, on y traque des lieux de rendez-vous, tranquilles et anonymes, des sentiers, des coulées de verdure dans le bitume, des squares aux bosquets protecteurs, des no man's land portuaires caressés par la brise de la Loire quand il y faut un peu de romantisme, et parfois des endroits plus prosaïques, des parkings, des centres commerciaux, des McDonald's. Intelligibles seulement à ceux et celles qui ont apprivoisé la dissimulation.
Ainsi la Cité des congrès offre-t-elle aux amants, ses entrailles fraîchement peintes de rouge et de vert tennis, d'une propreté parfaite, à toute heure du jour et de la nuit. Juste au-dessus, l'Erdre retient ses eaux langoureuses avant qu'elles ne glissent dans une Loire repue de tous ses affluents. Sur ses rives les herbes sauvages échappent à l'urbanité du lieu, nous venons d'y faire quelques pas. Je le conduis, lui, Roch, jusqu'à l'ancien stade Marcel Saupin, encore debout, antre mythique des Canaris, écrin de leurs gloires passées. Nous y trouvons une porte laissée ouverte par un homme d'entretien, qui a posé là son tuyau d'arrosage. Nous pénétrons main dans la main dans l'arène sacrée. Curieusement je me suis intéressée à ce club de football au point d'en connaître un peu l'histoire chaotique, et quelques héros. Je les lui raconte avec emphase, il n'y entend rien et m'écoute, charmé et incrédule. Le vieux stade de ciment déverse ses gradins vides vers la pelouse éclatante, vestige jalousement entretenu. Le football bon enfant qui anime encore la ville, le joli jeu à la nantaise sont nés là. Le lieu déserté, inondé de la lumière de midi, en garde un certain panache. Roch me regarde ôter mes sandales et fouler pieds nus l'herbe rase et scintillante de gouttelettes. Il me rattrape et m'embrasse à pleine bouche au pied des gradins désaffectés. Sa tête s'imprime au-dessus de moi, dans cet angle qui est le sien pour me regarder quand nous sommes debout, parce qu'il est tellement plus grand. Le soleil blanc brille haut. En contre-jour, ses yeux bleus me fixent, intenses, sombres et tranchants comme de l'acier. Ils passent partout sur mon visage, scrutent les joues, la bouche, le front, les oreilles, comme s'il cherchait quelque chose, une évidence qu'il ne trouve pas. Il dit :
«Tu me possèdes, pourquoi ?»
En guise de réponse, je lui souris, je pose mes pieds nus sur ses chaussures, je me hisse debout sur les siens, pour me rapprocher de son visage. L'homme d'entretien sort par une petite porte sous les gradins, il nous voit, il surprend ce geste enfantin, se détourne et s'approche :
«S'il vous plaît, le stade est fermé.
Présentation de l'éditeur :
Les étreintes fugitives dans des parkings souterrains, les échappées belles dans des lieux interdits, les caresses et les baisers volés... Les amours clandestines esquissent de nouvelles géographies : cartes des villes revisitées en errances secrètes, cartes des corps à la pudeur tombée, cartes des cœurs au tempo affolé. La passion adultère se rit des conventions; en elle, mensonges et vérités se mêlent et s'emmêlent, et le temps se perd. Il lui a dit que, dans un an, il quitterait sa femme. Passent les jours, reste l'amour... et l'attente. " Une réflexion sur la place que chacun est prêt à accorder à l'autre et à l'amour. " Psychologies Magazine " La plume est plus que maîtrisée et ce récit séduit sans restriction. " Ouest France
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